Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
l’industrialisation, l’Angleterre a produit des machines 350 fois plus actives qu’un travailleur indien. Grâce à sa position dominante, l’Angleterre a pu introduire librement ses cotonnades en Inde. Le résultat fut qu’en moins d’un siècle l’industrie des indiennes avait quasidisparu. Le processus de désindustrialisation se retrouve dans bien d’autres colonies ; avec la spécialisation à outrance dans des cultures non vivrières, il constitue le deuxième aspect du changement que l’impérialisme a imposé aux colonies, qu’elles fussent anciennes ou nouvelles.
En Afrique noire, révélateur du deuxième changement, la situation coloniale a suscité une opposition entre l’économie de subsistance, base traditionnelle des sociétés, et l’économie de marché. Imposée par l’administration, la culture du cacao, par exemple, s’est heurtée chez les Agni de Côte-d’Ivoire à une opposition caractérisée, Henri Raulin l’a observé : chaque nuit, ils allaient verser de l’eau bouillante sur les plants de cacao qu’on les avait obligés à planter. Ce n’est qu’ultérieurement qu’ils ont constaté que cette denrée leur rapportait quelque argent dont ils avaient l’utilisation. Ces mêmes Agni passaient pour inaptes au travail manuel, et même à tout travail : la vérité était qu’ils avaient une étiquette compliquée, et que le respect de cette étiquette leur interdisait, aux classes supérieures notamment, de travailler en public ; on les définissait comme « paresseux » alors qu’ils ont montré qu’ils pouvaient être extrêmement actifs. L’inadaptation au « progrès », tel que le colonisateur l’entendait, pouvait s’exprimer sous d’autres formes de « résistance » culturelle… Ainsi, chez les Masikoro, les Bara de Madagascar, comme chez les Peuls, l’échange du bœuf a une signification particulière : le bétail a une valeur sociale, et vendre du bétail devient le signe de la déchéance, car ce bien fait partie d’un jeu d’échanges spécifiques, hors économie monétaire ; tout comme se conserve hors de l’économie monétaire, chez les Bété, le montant de la future dot, qui est considérable. De même, la culture du coton a échoué chez les Peuls, les Bambara, et réussi chez les Minyanka et les Senufo, parce que les premiers avaient constitué des sociétés historiques que la colonisation déstructurait, alors que les seconds, moins conscients de leur identité, étaient plus disponibles et mieux disposés à changer de vie.
Les emprunts techniques à l’Occident furent l’enjeu d’un conflit entre l’aspiration au progrès et la résistance destraditions. Tel fut le cas, par exemple, pour la culture des ignames. Certains cultivateurs Senufo de la région de Korhogo ont adopté très tôt la charrue attelée avec des bœufs. Au lieu de se faire en buttes avec des houes, la culture des tubercules s’est faite désormais en billons, avec la charrue. L’économie de main-d’œuvre fut très appréciée, mais, comme les nouvelles ignames étaient moins trapues, plus allongées, la consommation s’en détourna, et la charrue fut abandonnée.
E NTRE COLONISATION ET NÉO - COLONIALISME
La domination des colonisateurs et ses conséquences ont donné naissance à plusieurs situations types ; certaines de leurs caractéristiques ont pu partiellement survivre même à la décolonisation. Ainsi, on peut distinguer en premier lieu :
— la colonisation de type ancien , de type expansionniste, à un stade de libre concurrence du développement capitaliste. Le cas de l’Algérie, conquise en 1830, figure un de ses derniers exemples ;
— la colonisation de type nouveau , liée à la révolution industrielle et au capitalisme financier, qui concerne la plupart des conquêtes françaises d’après 1871, le Maroc notamment, même si elles sont liées à d’autres considérations ; tout comme l’est la politique d’expansion de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne en Afrique orientale et en Afrique du Sud, etc. ;
— l’ impérialisme sans colonisation , par exemple dans l’Empire ottoman — à titre provisoire comme en témoigne le cas de l’Égypte en 1881. Il se développe de façon plus pure — c’est-à-dire sans l’idée d’y installer des colons — en Amérique latine, où la City règne en Argentine comme au Pérou, avant de céder la place aux États-Unis. Cet impérialisme sans drapeau a
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