Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
détonateur, même si le cheikh Mokrani, un des chefs de l’insurrection, déclare : « Je n’obéirai jamais à un Juif… Je veux bien me mettre au-dessous d’un sabre, d’un Juif jamais. » Le point intéressant est sans doute que, lorsqu’il siégeait au Conseil général de Constantine, quelques années plus tôt, il avait voté pour la naturalisation des Israélites ; la raison était qu’il ne désirait pas cette naturalisation pour ses coreligionnaires : il ne croyait pas qu’un citoyen pût être supérieur à un croyant — la preuve, on naturalisait les Juifs. Le décret signifiait qu’on pouvait obliger les Juifs à abandonner leur foi… Ce que jamais ne ferait un Musulman.
Un autre facteur de révolte avait été cette Commune d’Alger en 1871, qui avait vu les Français se battre entre eux, entre républicains et bonapartistes, se prononcer pour que l’Algérie fara da se , se rende autonome toute seule… Le séparatisme « républicain », cette défaite française, voilà qui se répète dans d’autres termes en 1954-1962, après Diên Biên Phu et l’OAS, et qui donne de l’élan à l’insurrection. Révolte multiforme, réprimée durement, selon la « règle algérienne », et suivie d’une expropriation massive : des chansons kabyles répétèrent désormais : « 1871 fut notre ruine, 1871 fut l’année où nous devînmes mendiants. »
La révolte d’Abd el-Krim, une mémoire étouffée…
A l’époque de la lutte de libération des peuples colonisés, on s’est demandé si la guerre du Riff (1921-1926) avait été le dernier soubresaut de leur défense, ou bien, à l’inverse, l’annonce d’un mouvement qui a abouti, plus tard, à l’indépendance. La proclamation de la « République du Riff » par Abd el-Krim, en 1923, après la victoire d’Anoual, défi aux puissances impérialistes, répondait non seulement à la pénétration espagnole mais aussi à la volonté française, de Lyautey entre autres, d’associer la présence coloniale à la monarchie chérifienne.
L’insurrection mettait ainsi en cause le rapport que le Riff entretenait avec l’État marocain, et qui aboutissait à une désintégration du pays, conséquence de la pénétration impérialiste. Ruiné, celui-ci se referma sur de précaires équilibres locaux, effets de la rupture des liaisons anciennes que le Riff avait avec le reste du Maroc, et qu’avait provoquée l’investissement colonial. Aussi, c’est dans le jeu de ces relais d’autorité, et non dans un Riff isolé, que se situe l’action d’Abd el-Krim, par la médiation du droit coranique dont il est porteur et de par sa fonction de juge qui permet un contrôle sur la société. Il se tient dans la mouvance de Fès, fût-ce en dissidence, mais par correspondance avec l’Islam qu’au reste Abd el-Krim entend réformer et carrément dissocier de l’État, comme a fait Ataturk.
Ainsi, le parallèle avec Abd el-Kader n’a guère de fondement même s’ils sont, l’un et l’autre, des chefs élus, avec le titre d’émir, recourant tous les deux aux armes et aux techniques européennes ; se ressemble aussi, dans les deux cas, l’esquisse d’un État qui fait référence au Coran, en rupture des cadres et coutumes confrériques, et qui procède à une consultation démocratique. De fait, s’il s’est bien agi dans les deux cas de la mise en état de guerre d’un pays et d’une population face à un ennemi qui veut l’occupation — car sans elle la colonisation ne serait pas intégrale —, la différence entre Abd el-Kader et Abd el-Krim vient de ce que ce dernier va plus loin dans l’organisation collective de la résistance, et surtout dans la transformation politique de ce qu’était l’organisation sociale antérieure, accomplissant une ouverture qu’il fait, certes, sur le mode religieux, mais en visant à un changement politique plus profond, pas nécessairement en liaison avec le sultan. On a pu parler ainsi de « guerre révolutionnaire » dont Hô Chi Minh se serait inspiré en 1946.
Abd el-Krim explique sa défaite par le fanatisme religieux, ce ta’assub étant la division des communautés marocaines en groupes opposés tenus à des fidélités contradictoires. Et, bien sûr, il l’explique également par la supériorité technique et numérique des Français qui alignent jusqu’à 325 000 hommes de troupes régulières, plus 100 000 Espagnols, contre 75 000 partisans. Selon
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