Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
lui, le terme de « République du Riff » a été choisi pour exprimer le fait « que nous étions un État composé de tribus indépendantes fédérées, et non pas un État représentatif ayant un Parlement élu ».
Saluée par les révolutionnaires de tous les pays, soutenue par le Komintern et le Parti communiste français de Jacques Doriot, l’expérience d’Abd el-Krim n’a pas bénéficié au Maroc de la même glorification, ni au sein des partis réformistes du Wafd égyptien ou du Destour tunisien : ils ont conservé une certaine défiance vis-à-vis d’Abd el-Krim parce qu’ils pensaient leur propre opposition en termes parlementaires, et non sous la forme d’un soulèvement populaire. De même, Allal el-Fassi, au Maroc, réformiste nationaliste, note qu’en cinq ans, dans sa zone insurrectionnelle, Abd el-Krim « n’a pas même construit une école » ; tout s’est passé comme si on s’était intéressé à Abd el-Krim plus au Liban ou à Moscou qu’au Maroc même. Abdallah Laroui à observé qu’en 1971 encore, lorsqu’un Marocain fait un exposé sur la bataille d’Anoual où les Espagnols furent vaincus en juillet 1921, c’est du point de vue espagnol qu’on présente les faits, la preuve qu’au Maroc on n’en a pas écrit la contre-histoire ( Abd el-Krim et la République du Riff ). De même, dans l’ouvrage d’Allal el-Fassi sur Les Mouvements d’indépendance en Afrique du Nord , les remarques sur Abd el-Krim sont succinctes, signeque la direction du mouvement nationaliste marocain, entre 1925 et 1954, n’a montré aucun intérêt politique réel pour l’expérience riffaine, parce qu’il l’interprétait au travers du mouvement libéral démocratique, et du mouvement Salafi de résistance, qui pose que, en fin de compte, Abd el-Krim aurait sans doute rendu ses pouvoirs au sultan. Alors qu’en vérité Abd el-Krim jugeait que s’il en avait eu la possibilité et le temps, « nous, Marocains, serions devenus une grande nation d’hommes libres ». Ce qui allait très au-delà.
Dans ce contexte, on comprend mieux que les organisations associées au sultan, puis au roi, aient quelque peu jeté un voile sur l’insurrection du Riff — quitte, bien entendu, à lui assurer une glorification désormais sans risque pour le pouvoir.
« De nos monts, s’est élevée la voie des hommes libres, appelant à l’indépendance » —, ce chant attribué aux soldats d’Abd el-Krim, il semble bien qu’en son temps et jusqu’aux années cinquante on l’ait entendu en Tunisie, en Algérie ou en Turquie plus qu’au Maroc.
Au Vietnam, l’armement moral face aux Français
En 1922, Lord Northcliffe, directeur du Times et du Daily Mail , déclarait à André Tudesq, du Journal , à quel point il admirait la présence française en Indochine. « Vous y touchez les coupons de trois cents ans d’expérience coloniale… Vous avez su découvrir et toucher le cœur de l’indigène ; vous colonisez avec tact. Il règne en ces lieux la politique de l’amitié » (cité in R. Chauvelot, En Indochine) .
Sans doute, les Vietnamiens ne partageaient-ils pas tous cette analyse…
En premier lieu, dès 1885, ils eurent le sentiment d’avoir « perdu leur pays » et ils exprimèrent des propos antifrançais, « ces chevelus, sentant mauvais, aux nez longs » ; mais, assez vite, ils deviennent anticolonialistes, plusqu’antifrançais, car ils pensent qu’il existe de « bons Français », tels Montesquieu, Voltaire, Rousseau et Napoléon. Pendant un premier temps, en effet, ils identifient l’invasion française à d’autres, antérieures — celles des Mongols par exemple. Au vrai, ils s’attendaient un peu à une pénétration française, dès 1842 — étant déjà partagés entre ceux qui veulent « fermer toutes les portes à clef » et ceux qui veulent « connaître le pain et le lait », c’est-à-dire apprendre de l’Occident ses recettes — pas seulement alimentaires… — pour mieux lui résister. C’est la défaite de Ki-Hon (1861) qui les convainc de cette dernière nécessité, l’artillerie française ayant montré sa suprématie…
Un deuxième tournant dans la réaction des Vietnamiens se situe lorsque, sous l’égide de leurs lettrés, ils contestent le comportement de la cour de Hué « qui cherche de prudents compromis avec les “Barbares” ». Ce n’est pas une mise en cause de la monarchie mais de la personne du monarque,
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