Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
qui a animé la population, tout entière concernée par les conflits économiques ou institutionnels. Il l’a animée d’une énergie fantastique. En témoignent le nombre et le contenu de brochures, libelles, journaux édités dans les colonies anglaises d’Amérique entre 1763 et 1783. En témoigne aussi la tonalité de la Déclaration d’indépendance, toute morale.
C’est parce qu’ils ont incarné, au mieux, la lutte contre la tyrannie, la corruption que les membres de l’aile gauche des whigs, appelés radicaux, ont fini par l’emporter. Comme l’écrivain Burke, en 1775 : « Ils devinaient de loin les vices du gouvernement et flairaient l’approche de la tyrannie à la moindre brise délétère » (Wood, La Création de la République américaine , p. 38).
Le conflit avec le roi ou avec le Parlement servit de révélateur à un refus plus profond : il ne suffisait pas de justifier son opposition à des taxations décidées sans le consentement de la population ; il s’agissait de pouvoir se donner soi-même ses propres lois, bref, d’assujettir les gouvernants aux gouvernés . De créer une véritable démocratie où l’intérêt général l’emporterait sur les intérêts particuliers et où chacun serait incorporé dans la communauté.
Dans ce contexte, le problème du rapport avec Londres devenait subalterne, car tout le système eût dû basculer. Les radicaux étaient animés d’une foi quasi religieuse, puisée aux Écritures — dans les classiques de la philosophie des Lumières également, tels Rousseau, Blackstone, Locke ; ils se voyaient chargés d’une mission universelle, « héritiers d’Israël, Nouveau Peuple élu », « nouvelle Sparte chrétienne », selon l’expression de Samuel Adams. Au vrai, ces classiques avaient aidé à leur propre formation, mais les citoyens américains pouvaient désormaispenser par eux-mêmes, et c’est pour cela qu’on a pu juger que Jefferson et les Américains sont bien les auteurs de la Déclaration d’indépendance — sans qu’il soit nécessaire de s’en référer à Locke ou à quiconque.
Ainsi, vue sous cet angle, l’indépendance n’était qu’un tout premier pas vers la création d’une République — c’est-à-dire l’accomplissement d’une véritable révolution.
L’exemple américain exerça sa fascination sur les colons anglais des autres dépendances britanniques. Au XIX e siècle, pour autant que le Royaume-Uni traversait une ère de prospérité économique, Londres lâcha la bride à ses dépendances peuplées de Blancs, qui bénéficièrent par étapes d’un régime représentatif, parfois parlementaire. Le Canada fut la première colonie à bénéficier du statut de dominion, en 1867, avec ses quatre provinces de Québec, Ontario, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse ; s’y joignirent bientôt les colonies et territoires qui voulurent s’y rattacher : Colombie britannique en 1871, île du Prince-Édouard en 1873, territoires issus du démembrement de la Compagnie de la baie d’Hudson en 1870.
A l’origine, les dominions (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) bénéficiaient d’une simple autonomie interne, éventuellement limitée par un veto du gouverneur ; bientôt, ils jouirent d’une autonomie externe, dont le Canada offre le premier exemple par son traité de commerce avec l’Allemagne, en 1907, sans passer par l’intermédiaire de la Grande-Bretagne. Cette liberté put aller encore plus loin lorsque, en 1914 puis 1939, l’Afrique du Sud déclara la guerre à l’Allemagne indépendamment de la métropole. A cette date, le monarque était devenu le seul lien permanent avec Londres pour autant que les conférences impériales, réunissant les membres du Commonwealth, étaient irrégulières et officieuses ; elles révélaient de plus en plus le détachement des intérêts économiques de chacun, la solidarité britannique ne jouant qu’en cas de menace étrangère. Or, précisément, de ce point de vue, la préférence donnée par Churchill, en 1942, à la défense de l’Inde surcelle de l’Australie scella le divorce de ce dominion d’avec la mère patrie.
Le mouvement créole en Amérique latino-indienne
En Amérique du Sud, le mouvement des colons obéit pour une part à des motivations similaires à celles des colons d’Amérique du Nord. Mais ici la domination raciale joua un rôle essentiel : c’est là où les Indiens menaçaient le plus que les
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