Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
Coquery-Vidrovitch ci-avant, et contrairement à la légende coloniale, les foyers de révolte furent innombrables en Afrique noire au XX e siècle. En Afrique équatoriale, le premier soulèvement d’envergure eut lieu sur la route des portages, entre Brazzaville et la côte, traduisant l’exaspération des Loango épuisés, tandis qu’une explosion meurtrière, due aux sévices, donnait naissance à une guérilla généralisée, celle des Manja, dans le Haut-Chari. Ces pays étaient meurtris par une exploitation rude, dont André Gide a fait la description dans son Voyage au Congo (1925). Le recrutement de soldats, pendant la Première Guerre mondiale, fut un deuxième motif de malaise, notamment en Haute-Volta ; il suscite également des révoltes, autant contre les chefferies que contre les Français ; l’introduction d’une économie de marché est unetroisième donnée qui, après la crise de 1929, amène la ruine de communautés entières qui se révoltent, tels les paysans du Burundi en 1934.
Née entre 1908 et 1920, la rébellion des Mau-Mau, au Kenya, est l’une des plus violentes ; elle se déchaîne vers 1950 contre les « collaborateurs noirs », avant de s’attaquer aux Blancs. Enfin, la plus grande jacquerie africaine, au Zaïre, éclate après l’indépendance, Patrice Lumumba réclamant une « nouvelle indépendance » contre le « régime corrompu » institué par les nouveaux dirigeants…
Ainsi, les élites avaient à faire face à un mouvement venu d’en bas. Celui-ci pouvait prendre une forme religieuse : ses aspects les plus élémentaires se rencontraient dans des milieux millénaristes ou messianiques — mouvements qui attendent un salut collectif, imminent, total, où s’exprime un besoin radical de changement social par l’avènement de quelque homme ou force surnaturels, aussi bien en Nyassaland, avec John Chilembwe, qu’au Congo belge où apparaît le rhakisme ou mpadisme, mouvement syncrétique qui oppose les valeurs africaines à celles des Européens : « Tu n’écouteras plus les prières des Blancs »… En 1946, apparaît le lassysme, à Brazzaville, un mouvement qui prend ses racines dans l’Église catholique. Mais le plus important est le mouvement Mau-Mau, apparu dès 1920 au Kenya, qui fait de Jomo Kenyatta le remplaçant du Christ ; la perte de leurs terres accaparées par les colons radicalise le mouvement dès les années cinquante.
C HRISTIANISME , BOUDDHISME , I SLAM
Le cas de l’Afrique noire, mieux que d’autres, pose le problème du rôle de l’Église et du christianisme comme agents et facteurs de décolonisation, après avoir été associés à l’expansion européenne. Certes, au XV e siècle déjà, depuis Francisco de Vitoria, le grand théologien de Salamanque, l’Église avait bien déjà désigné les indigènes d’Amérique comme « les légitimes propriétaires de leur sol ; et pouvant librement refuser une religion qui se présentait à eux de façon inadmissible ». Et, au XX e siècle encore, l’écho des Polynésiens répondait : « Vous êtesvenus la Bible à la main, nous avions la terre ; aujourd’hui, vous avez la terre, et nous, il nous reste la Bible… » Ce dessaisissement, lié dans l’esprit des indigènes à la religion, causa chez les missionnaires un réel désarroi, en Afrique notamment. Au vrai, jusqu’au XIX e siècle, les papes n’avaient cessé de vouloir dissocier ce mouvement missionnaire et l’expansion coloniale, comme en avait témoigné l’existence de ce territoire des Missions au Paraguay. La position des Églises protestantes étant similaire… dans les faits, pourtant, et pour les indigènes, la situation se présentait autrement.
Souvent, les missionnaires avaient été amenés à croire qu’un gouvernement devait venir « au secours des populations », et, en leur assurant la paix, garantir leur évangélisation. Cette croyance n’était pas nécessairement une forme de nationalisme déguisé : à preuve que le fondateur français des Pères Blancs, le cardinal Lavigerie, s’est efforcé de susciter l’intérêt des Allemands pour l’Ouganda, et que le missionnaire protestant français Coillard croyait servir les intérêts de la population indigène de Rhodésie en intervenant auprès des Britanniques pour qu’ils assurent l’ordre dans le pays.
Pendant de longues décennies, au XIX e siècle et au début du XX e siècle, missionnaires et
Weitere Kostenlose Bücher