Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
opprimés d’Orient, car cette classe héritait de l’attitude nationale de la classe à laquelle elle avait succédé.
Il fallait donc substituer à la dictature des métropoles occidentales celle des nations prolétaires sur les métropoles d’Occident … A cette fin, Sultan-Galiev proposait de constituer une Internationale coloniale communiste, mais indépendante du Komintern. La première étape serait la constitution d’un grand État national turc, le Turan. Avec Hanafi Muzzafar, Sultan-Galiev essaya ensuite d’élaborer en théorie la fusion du communisme et de l’Islam en y introduisant des données culturelles, propres aux peuples d’Orient, alors qu’au contraire, au IV e Congrès du Parti communiste, en 1923, Kalinine jugeait que « la politique des Soviets devait avoir pour fin d’enseigner aux peuples de la steppe kirghize, aux Ouzbeks et aux Turkmènes, les idéaux de l’ouvrier de Leningrad ».
« Sultan-Galiev » fut liquidé par la violence et, après la « normalisation » de la situation en Turkestan, le Komintern reprit sa politique d’instrumentalisation des mouvements nationaux : typique fut l’accord commercial signé entre Londres et Moscou, en 1921, qui stipulait que Moscou s’abstiendrait de toute propagande qui pourrait inciter les peuples d’Asie à une action contre l’Angleterre… L’européocentrisme soviétique s’affirmait avec toujours plus d’arrogance, les communistes russes voulant décider désormais de la nature des mouvements nationaux — ou désignant ceux qu’il fallait soutenir, et pas les autres. Cela souleva l’indignation des délégués aux IIIe et IVe Congrès, notamment celles du Malais Tan Malaka, du Vietnamien Nguyên Ai Quôc (Hô Chi Minh) et de l’Indien M. N. Roy.
En refusant de voir dans la révolution orientale une possibilité autre que celle d’une révolution nationale — alors que pour ces leaders elle n’était qu’une étape —, le Komintern disait, sans l’énoncer clairement, que seul l’Occident pouvait accomplir une révolution sociale. Ce qui, en clair, signifiait que seule la République des Soviets pouvait définir quelle nation était susceptible, donc en droit, d’accomplir une révolution…
C’est ce qu’allait démontrer l’exemple chinois, en 1927.
L’échec des communistes chinois, en 1928, la part que put y jouer la politique du Komintern dans son rapport privilégié avec Tchang Kaï-chek, autant d’éléments qui, à la suite du comportement de Staline à l’égard des communistes musulmans, pouvaient préjuger d’un diagnostic très négatif sur le rôle que jouèrent l’URSS et le Komintern dans le processus de la lutte des peuples colonisés. Ce jugement serait en partie erroné, car ce bilan ne tiendrait pas compte du fait que les débuts du Komintern ont pu jouer le rôle de « matières inflammables », qui ont embrasé les milieux nationalistes des pays coloniaux. S’il est vrai que M.N. Roy ou Tan Malaka — après Sultan-Galiev — ont pu désespérer des agissements de l’URSS, Hô Chi Minh lui a été fidèle : en 1935, lorsque, au mot d’ordre « classe contre classe », le Komintern substitue la lutte « nation contre nation », il s’y rallie, et, comme lescommunistes philippins, il mène la lutte avec les démocraties contre le fascisme japonais et ses alliés 1 .
Plus, les thèses des opposants à la direction du Komin tern, les discussions qu’elles suscitent ne meurent pas avec leur condamnation par Moscou. Elles survivent souterrainement et elles sont connues des Malais, des Indiens, de Mao Tsê-tung ; bientôt, durant les années soixante, Boumediene et Kadhafi reprennent à leur compte ces idées de Sultan-Galiev sur les « nations prolétariennes ». Sauf que, tatares ou turques à l’origine, elles sont désormais arabes.
On constate en effet que c’est le schéma galiévien qui, historiquement, a fonctionné : une fois indépendants, la Libye, l’Algérie, puis l’Iran ont renoué avec cette idée d’une substitution à la dictature des nations occidentales de celle des nations du Tiers-Monde.
L’action du Komintern, directe ou indirecte, avait surtout conservé, en Orient, les peuples d’origine turque et musulmane, mais aussi les Persans, les Indiens, les Vietnamiens, les Malais, les Indonésiens, et naturellement les Chinois. Elle toucha peu les Arabes avant la Seconde Guerre mondiale, les seuls partis communistes organisés et
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