Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle

Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle

Titel: Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Ferro
Vom Netzwerk:
destin de cette révolution européenne dépendait tout entier de la révolution en Orient. Mais il estimait aussi que ce mouvement « n’avait rien de commun avec le mouvement de libération nationale », animé par la bourgeoisie et qui, notamment en Inde, serait contre-révolutionnaire. Lénine s’opposa à ces thèses, car son souci principal, en tant que chef du gouvernement soviétique, était de trouver des alliés capables de miner les arrières des puissances qui le combattaient, donc plutôt le Parti du Congrès, puissant et développé, que le Parti communiste indien encore dans l’enfance.
    L’intérêt de ce débat est d’avoir préfiguré le conflit entre les intérêts propres de l’URSS et les ambitions des révolutionnaires des pays coloniaux, ou semi-coloniaux : Inde, Turquie, Égypte, etc. Il prit de l’ampleur au congrès de Bakou où, cette fois, le problème colonial fut au centre des débats, son éclat dépassant largement, pour les pays d’Asie surtout, celui du congrès du Komintern. Les porte-parole de l’Orient étaient surtout des musulmans d’Asie centrale, puisque, sur 1 891 délégués, on comptait 235 Turcs, 192 Persans, 8 Chinois, 8 Kurdes, 3 Arabes, les autres venant des parties non russes de la République des Soviets. Ils avaient répondu à cet appel lancé par Karl Radek et Grigori Zinoviev :
    « Jadis, vous étiez accoutumés à traverser le désert pour vous rendre aux Lieux saints ; à présent, traversez les déserts et les montagnes, et les rivières pour vous rencontrer et discuter de la manière de vous libérer de vos chaînes et de vous unir en une union fraternelle pour vivre une existence égale, libre et fraternelle » (juillet 1920).
    En vérité, passé l’enthousiasme des déclarations de Grigori Zinoviev, accueillies par une levée de sabres et de revolvers aux cris de «  Djihad  », « Vive la résurrection de l’Orient », images que la caméra a conservées intactes, les musulmans manifestèrent leurs réserves devant la façon dont Moscou les avait traités. « Nous devions supporter le mépris des anciennes classes dirigeantes envers les masses indigènes. Cette attitude est celle des communistes, qui conservent une mentalité de dominateurs, et regardent les musulmans comme leurs sujets. » Cette attitude, l’envoyé de Vladimir Ilitch Lénine, Georgi Safarov, en confirma la nocivité : « La dictature du prolétariat prend, au Turkestan, un caractère typiquement colonialiste. » On retrouvait ainsi, chez les communistes, le comportement des mencheviques et des SR qui avaient crié « Réaction ! » lorsque les non-Russes du Caucase avaient revendiqué leur droit à exister en dehors des partis socialistes. Aussi, au Turkestan, le 3 e  Congrès des organisations communistes musulmanes demanda que l’organisation turkestanaise du PC russe se transforme en parti communiste turc. A Bakou, l’argument fut développé que le concept de solidarité de classe n’avait pas de sens en milieu colonial. Les musulmans insistèrent sur la nécessité de révolutions nationales,seules garantes d’une émancipation de l’Orient ; et, en vérité, seul moyen de récupérer leur identité : le problème de la direction du mouvement — confié à la bourgeoisie ou au Parti communiste national, que soulevait Manabendra N. Roy — leur paraissait secondaire.
    Ce conflit dura jusqu’en 1923, où les « déviations nationales » furent condamnées par les dirigeants soviétiques — en l’occurrence Lénine, Staline, Zinoviev. Cela entraîna la rupture avec Sultan-Galiev, le plus en vue des communistes tatars, ancien adjoint de Staline au Commissariat des nationalités. Il affirmait que les prolétariats d’Occident et d’Orient étaient fondamentalement différents et, pour dire vrai, « irréconciliables ». Il ajoutait : « Les peuples musulmans sont des nations prolétariennes… leur mouvement national a le caractère d’une révolution socialiste », une formulation sacrilège. Inventant ce concept de « nation prolétarienne », Sultan-Galiev distinguait ainsi le monde occidental, où le prolétariat était une classe sociale, et l’Orient où l’on avait affaire à des nations tout entières prolétariennes. Il ajoutait que le remplacement, en Occident, de la bourgeoisie au pouvoir par le prolétariat n’apportait et n’apporterait aucun changement dans les rapports du prolétariat occidental avec les pays

Weitere Kostenlose Bücher