Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
parallèle, prêt à assurer la relève du pouvoir le jour de l’indépendance, ou en attendant la transformation de l’Inde en dominion.
« Il n’y a pas besoin de révolutionnaires pour faire une révolution, disait Lénine, laissez agir les dirigeants… » Ce trait vaudrait-il pour le comportement des Anglais en Inde, voire sur l’analyse que sut en faire Gandhi ? Certes, Gandhi pensait, comme Lénine, que l’État, dans ses formes actuelles, et plus encore l’État colonialiste, est un instrument d’exploitation ; il pensait également que les ploutocrates tiennent les pauvres à la gorge, mais son humanisme et ses croyances le portaient vers une vision plus optimiste des rapports sociaux, et sa foi lui apprenait que ni les marxistes, ni les bouddhistes ni les musulmans ne pouvaient être des Justes ; les chrétiens non plus, à cause deleurs églises qui étaient « au service de ceux qui ont, pas de ceux qui n’ont rien ». Ni les communistes qui, au lieu de prôner la réconciliation, prêchent la lutte des classes. Son modèle fut Léon Tolstoï (et plus particulièrement la formule « Le royaume de Dieu est en nous ») qui enseignait que, pour résister au mal, il faut une totale renonciation à la violence. Puisque l’État, les Églises qui le glorifient, et les luttes sociales sont le mal, le Juste doit se détacher le plus possible d’une société inique, il doit être non violent et essayer de convertir les classes dirigeantes.
Ce fut le principe qu’il appliqua, cette action non violente, satyagraha , dont il retrouvait les formes hindoues anciennes — â himsa , « tu ne tueras point ». « La non-violence sous sa forme dynamique signifie : souffrance lucide et consentie. Non pas soumission docile à la volonté du fauteur de mal, mais mobilisation totale de l’âme contre cette volonté du tyran. Appliquant à la tâche cette loi de notre être, il est possible à un seul individu de défier toute la force brute d’une injuste domination, de sauver ainsi son honneur, sa religion, son âme et de préparer la chute ou la régénération de l’Empire oppresseur. »
« Je n’invite donc pas l’Inde à pratiquer la non-violence par faiblesse, mais en toute conscience de sa force et de sa puissance… » Par ses nombreuses grèves de la faim, programmées, Gandhi donna lui-même une série d’exemples. Il fallait savoir être puissamment calme, même devant un régiment de police montée. De cette directive, les images cinématographiques de 1931 ont conservé l’exécution : lorsque cette police montée arrive, escortée d’autres forces de l’ordre, les Indiens qui manifestaient s’allongent par terre, immobiles, activement passifs, et il faut deux ou trois policiers et soldats pour les tirer, un par un, hors de la place où ils se trouvent, mais, ainsi transportés, ils retombent comme inertes. Plans de la mémoire historique uniques, incroyables.
Les manifestations non violentes se déclenchaient, comme Lénine le disait, à partir d’un acte des dirigeants, en l’occurrence un affront commis à l’endroit des sentiments de l’hindou — comme naguère l’affaire des cartouches.
La première provocation fut l’arrestation d’AnnieBesant, en 1919, cette Irlando-Américaine, animatrice d’une société philosophique tournée vers la revivification des idéaux et institutions hindous, et qui était devenue un des leaders du mouvement swaraj, un acte dont les lois Rowlatt confirmeront le sens, puisque avoir un tract nationaliste dans sa poche devenait un délit puni de deux ans de prison. Ces mesures gâtaient le projet Montagu d’une marche progressive de l’Inde vers l’indépendance, qu’institua le Government India Act et qui établissait une dyarchie dans la gestion des affaires du pays.
La deuxième provocation fut, en 1927, la réunion de la commission Simon, sur l’avenir de cette dyarchie anglo-indienne. Le vice-roi Lord Irwin en montra les conclusions à Gandhi. Il les lut, raconte la petite histoire, et commenta : « Une carte postale aurait suffi. » En fait, les Indiens n’avaient pas été consultés, et ils ne pouvaient accepter le principe même d’une telle procédure.
La troisième provocation fut la déclaration du vice-roi Linlithgow, en 1939 : au nom de l’Inde, en vertu de ses pouvoirs de vice-roi, il déclarait la guerre à l’Allemagne, sans avoir consulté un seul Indien.
Ces affronts témoignaient
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