Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
l’argumentaire français, pour prévenir cette internationalisation, consistait à affirmer que le Destour et l’Istiqlal pavaient la voie du communisme. Alors que les Américains pensaient que le nationalisme en était, au contraire, un antidote. Mais ils avaient déçu en n’osant pas intervenir clairement, comme l’avait espéré le roi du Maroc. Pour parer à une tentative d’immixtion, le gouvernement français accorda aux Américains des bases au Maroc. Puis, en 1951, le tournant fut pris, et Eisenhower refusa de s’engager à ne pas intervenir au Maghreb — mais il ne se solidarisa pas avec les leaders tunisiens, Bourguiba et Ferhat Hached, qui avaient demandé un acte plus décisif.
Le grand tournant eut lieu en 1952 : grâce aux États de la Ligue arabe, les États-Unis votèrent l’inscription de la question tunisienne à l’ordre du jour de l’ONU. Mais, pour sauvegarder leurs bases, ils ne réagirent pas à la déposition du sultan. L’ONU pourtant prit des résolutions, au restemodérées, « recommandant le développement de libres institutions dans les deux protectorats ».
Cet échec de la France fut le grand tremplin qui donna son dernier élan aux nationalistes. Tandis que Diên Biên Phu et les négociations de Genève permettaient à Pierre Mendès France de franchir l’obstacle, pour négocier l’indépendance de la Tunisie, et à Edgar Faure d’assurer au Maroc le retour du « vrai » sultan.
Ainsi, en s’opposant aux mesures demandées par le sultan, en cédant au mouvement-colon, en jouant des rivalités de pouvoir au sein du monde marocain, sans voir que l’ONU soutenait la marche des nations vers l’indépendance, les dirigeants français à Paris et Rabat avaient précipité l’inévitable.
Les voies de la « révolution » algérienne
« Nous nous proclamons un parti révolutionnaire… par les buts de notre action, par ses formes […] ou tout simplement parce que nous prenons des risques, à deux cents mètres desquels s’arrête le patriotisme de l’UDMA, et des Ulemas. »
Le début de ce Manifeste , de la plume d’Aït Ahmed, membre du Bureau politique du PPA (Parti populaire algérien), date de 1948. Sa formulation est chargée de sens : elle signifie, d’emblée, que la révolution en question consiste en une rupture d’avec un patriotisme des petits pas… Or, le terme va demeurer : un mouvement national, patriotique, s’est affublé d’une étiquette apparemment inadaptée, la révolution — et il l’a gardée.
La révolution concerne bien les formes que doit revêtir la lutte pour la libération. Est-ce seulement cela ?
Dans ce document fondateur, Hocine Ait Ahmed explique que la libération ne saurait être un soulèvement de masse, car les leçons de l’insurrection de 1871 ne doivent pas être oubliées. Celle-ci a échoué « moins parce qu’elle était géographiquement limitée qu’en raison de son caractère improvisé ». Cette lutte de libération « ne sera pas nonplus le terrorisme généralisé ». « Faire disparaître les méchants et les traîtres » est, certes, une idée populaire, mais elle ne tient pas compte des conditions qui doivent conduire au succès définitif de l’entreprise. Se référant à Lénine, dans Que faire ? Ait Ahmed montre que le terrorisme est une entreprise sans issue. Mais il ne le rejette pas totalement : « Nous devons rejeter l’action terroriste comme vecteur principal du combat libérateur. » Il y a danger également, explique Ait Ahmed, à vouloir constituer une zone franche. Bien qu’il existe des précédents, la Yougoslavie pendant la guerre, la Chine communiste à ses débuts, « ne comparons pas l’incomparable ». La dernière hypothèse, explique le leader du PPA, est de « rééditer techniquement la Révolution française de 1789 » : obliger l’Assemblée algérienne à se proclamer Constituante. La stratégie émane du communiste André Marty qui l’avait suggérée à Lamine Debaghine — on y voit bien l’annonce d’une étape vers l’idée de République sœurs. Ait Ahmed rejette cette hypothèse, car « la Révolution française opposait des classes et pas un peuple opprimé à une puissance coloniale ».
Or, juge Ait Ahmed, s’inspirant de Mao Tsê-tung, la lutte de libération doit être une guerre révolutionnaire ; elle doit combiner différentes formes d’action, en jouant sur l’avantage du terrain, la défense stratégique
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