Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
maoïste, maoïste pur et dur, solidaire de la « bande des quatre » ; en plein cœur de la cordillère des Andes, il exprime sa haine envers le « traître » Teng Hsiao-ping en exposant des chiens pendus dans les arbres ; un avertissement sur le sort réservé à ses semblables. Le Sendero est également hostile aux « renégats albanais » et bien sûr à Moscou qui a trahi la révolution mondiale. Ses seuls associés étrangers qui forment avec lui l’« Internationale du Sentier », ou 4 e Épée après Marx, Lénine, Mao, sont le Parti communiste Mao de Colombie, et une douzaine de groupes révolutionnaires de tous les pays.
Pourtant, le Sendero puise son armement théorique et ses pratiques dans l’arsenal de différents foyers révolutionnaires autant que dans le maoïsme. Au maoïsme, il emprunte le concept central de « guerre prolongée » (guerre paysanne, il s’entend, au moins à l’origine), car la guérilla urbaine peut en prendre la relève ou s’y associer. Il a aussi recours au principe du « poisson dans l’eau » : le mouvement s’y tient, comme Mao à Yenan, en collaborant aux travaux et aux jours des paysans (son milieu d’origine est constitué d’étudiants pauvres, fils de paysans surtout), ou en expulsant sous les quolibets les représentants de l’État ou ses agents, inoffensifs ou non, ou encore en les exécutant de sorte que les populations acquièrent le sentiment que le gouvernement et l’État ne comptent plus puisqu’« ils ont disparu » : ce sont les paysans et le Sendero qui ont pris la relève.
Du trotskisme qui, semble-t-il, a apporté à l’une des branches du mouvement quelques militants, le Sendero hérite une certaine tendance à la militarisation, un besoin permanent d’action qui a pour objet de créer une tension constante, obsessionnelle.
A Mariategui, père du marxisme latino-américain, le Sendero emprunte en réalité l’essentiel : l’identification de la société péruvienne (ou colombienne) à une société semi-coloniale, semi-féodale qui, étant donné son absence de bourgeoisie, a besoin d’une bureaucratie d’État . Il s’agit bien là de l’essentiel, car si le transfert des pratiques et mots d’ordre de la Chine des années trente au Pérou actuel donne au mouvement un enracinement et un modèle, l’analogie avec la Chine reste quelque peu artificielle.
En vérité, par un bon nombre de ses traits, le Sendero rappelle aussi bien les organisations nationalistes qui menèrent la lutte pour l’indépendance. Et, bien qu’il se réfère au marxisme, c’est moins avec le Vietminh qu’avec le FLN algérien qu’il possède des traits communs et avec Pol Pot, au Cambodge ; d’abord, par sa pratique combinée du terrorisme et de la terreur.
Comme le FLN dans sa première phase, le terrorisme vise des cibles qui définissent son action : destruction des urnes électorales, agression contre les lieux symboliques du pouvoir — commissariats de police, tribunaux, etc. —, exécution de grands propriétaires terriens, attentats contre des firmes multinationales. Puis, dans une deuxième phase, l’action se complète et vise les agents subalternes du pouvoir qu’on élimine d’une façon ou d’une autre pour créer « une zone libérée ». Dans un troisième temps, le mouvement se territorialise — la région d’Ayacucho — et il institue dans ces régions pauvres, traditionnellement sous-administrées, un contre-pouvoir qui, au nom de l’insurrection armée, exerce son autorité par en haut cette fois, par la « terreur d’État ». Le terrorisme et la terreur d’État se complètent ainsi, avec pour fonction réciproque d’assurer l’extension du mouvement et sa consolidation intérieure. Toutefois, le Sendero ne passe pas au quatrième stade du terrorisme, le terrorisme « aveugle » qui en Algérie accompagna l’insurrection armée. Il le condamne au contraire en exécutant ceux qui en sont responsables. Il signifie par là qu’il a suffisamment d’enracinement dans toute une partie de la population, celle où il se trouve « comme un poisson dans l’eau » ; il en va ainsi de cette région d’Ayacucho où des dizaines de milliers de métis et d’Indiens suivirent la dépouille d’une « victime de la répression ». Cette province est le foyer d’origine du mouvement, où son fondateur Abimael Guzman, dit « camarade Gonzalo », ancien professeur de philosophie et
Weitere Kostenlose Bücher