Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
problèmes au gouvernement : les bénéficiaires risquent désormais de devenir les victimes désignées du Sendero, exactement comme avaient été frappés par le FLN les fellahs bénéficiaires des réformes Soustelle.
Mais là s’arrête l’analogie, car le Pérou n’est pas, au sens propre, une société de type colonial. La société comporte certes des Indiens d’un côté et de véritables créoles del’autre. Mais ces créoles, placés en haut de la pyramide du pouvoir et de l’argent, ont été très éprouvés par les réformes des militaires — la « révolution » péruvienne des années soixante-dix —, et aujourd’hui leur hégémonie et leur légitimité sont très ébranlées et de plus en plus mises en cause par la montée des métis qui leur reprochent volontiers la fuite de leurs capitaux à Miami, les scandales financiers et la corruption « légale ». Or ce sont les métis, c’est-à-dire la majorité de la population, qui participent aux affaires du pays lui-même en pénétrant de plus en plus l’administration, l’armée, l’université, les activités touristiques, le corps médical, etc. A la campagne, ils ont bénéficié de la réforme agraire. Ils parlent le castillan, s’habillent à l’européenne, bref, se « créolisent ». C’est pour cela qu’on parle de « la société créole », car elle se veut occidentale, même si l’« aristocratie » proprement créole, de sang espagnol surtout, s’isole et préfère vivre à Miami plutôt qu’à Lima, tout en répétant qu’au Pérou, nous sommes tous des métis . La société métisse, largement majoritaire, est extrêmement diversifiée, socialement et ethniquement. La partie de cette société qui n’est pas totalement intégrée ou bien qui, dans la sierra, n’a pas bénéficié de la réforme agraire constitue le terreau le plus propice à l’action du Sendero avec la population grandissante des bidonvilles que la misère a rejetée de la sierra.
Se retrouve au centre des territoires insurgés de la province d’Ayacucho, une des plus pauvres du pays, une combinatoire de forces en présence identique à celle qui existait au moment de la lutte pour l’indépendance, il y a un siècle et demi. En ce temps-là, alliés aux Espagnols, les Indiens avaient combattu l’insurrection créole. Aujourd’hui, tout se passe comme s’ils étaient les alliés « objectifs » des créoles et des métis intégrés, mais cette fois contre l’insurrection sendériste qui regroupe les métis « marginalisés ».
Présenté ainsi, schématiquement il est vrai, ce dispositif révèle au moins que l’insurrection du Sentier n’est pas « indigéniste », même si certaines de ses racines théoriques puisent à l’indigénisme — au travers de Mariategui — et si elle flatte cet indigénisme ; celui-ci est au reste flatté detous côtés, par les gouvernants, les opposants, les intellectuels, les groupuscules, etc. La référence à Tupac Amaru, le dernier révolté inca, est à la mode. Le film Tupac Amaru (1983) de Federico Garcia, remplit les salles de Lima et de Cuzco : le public est métis ou indien. Dans ce film, le dernier Inca est finalement vaincu en 1781, après une ultime insurrection indienne, à cause de la trahison d’un Espagnol. Il s’agit là d’une création du réalisateur, car la défaite de Tupac Amaru eut bien d’autres causes, notamment la division des Indiens qui n’étaient pas plus unis qu’ils ne le sont aujourd’hui — car leur histoire n’a pas commencé avec l’arrivée des Espagnols…, certaines de leurs divisions actuelles étant l’héritage d’une situation très ancienne. Comme on le voit, au Pérou, la nature des conflits relève d’une stratification difficile à déceler. Mais le choix de cette anecdote révèle le sentiment de culpabilité des intellectuels et des artistes péruviens qui, métis créolisés ou créoles, ont constitué le dossier de la conquête et de ses suites. D’une certaine façon, leurs analyses ont nourri les attendus des programmes de ces organisations révolutionnaires dont l’action était demeurée longtemps verbale. En passant à l’acte, et de quelle sanguinaire manière, en s’exprimant peu ou pas du tout sur ses actions, le Sendero les met au pied du mur.
Autre forme d’un mouvement révolutionnaire, ces théologies de la libération , vivantes en Amérique indienne, réanimées par Vatican II et la
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