Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
jour,désormais les nations démunies disposent d’un atout, en l’occurrence le canal, qu’elles ont su arracher à l’Occident. Elles disposèrent bientôt d’un second atout, que Mossadegh n’avait pas pu soustraire complètement aux grandes puissances, le pétrole.
Plus important encore est le fait que loin de dériver vers le communisme, comme une certaine vision déterministe de l’histoire les y avait prédisposés, les pays d’Islam s’en détournaient au contraire, autant et sinon plus que du modèle occidental. Non seulement ils affirmaient leur vocation nationale (arabe, algérienne, etc.) et islamique, mais ils montraient qu’une société peut sécréter à la fois une histoire qui lui appartient en propre et une histoire qui s’identifie avec celle d’une communauté, l’Islam. Le monde avait reconnu en Nasser le pilote et le héros de cette régénération. Pourtant, l’unité du monde arabe, qui s’accéléra par l’union de l’Égypte avec la Syrie, n’aboutit pas, malgré Suez et la réalisation de la République arabe unie. L’Égypte ne put jamais jouer un rôle unificateur du type de celui du Piémont ou de la Prusse. Est-ce parce que le monde arabe se sent solidaire dans son rapport aux autres, plus que dans une identité qui lui serait propre ? Il la retrouve, certes, plus tard, dans la guerre contre l’Iran, pourtant musulman lui aussi, mais se divise pendant la guerre d’Irak…. L’heure de l’unité arabe semble désormais passée.
La crise de Suez avait eu pour effet de raidir l’attitude des Français d’Algérie, celle des militaires également, ce qui avait abouti au coup d’État du 13 mai 1958 1 , tout en maghrébisant le problème algérien. La position de De Gaulle, devant le tournant pris par les luttes de libération des peuples colonisés, était incertaine, inconnue même de ses proches. En Grande-Bretagne, la décolonisation avait déstabilisé les conservateurs, Anthony Eden avait démissionné.
Les réactions comparées de Churchill et de De Gaulle, leur parcours réciproque rendent compte de ce que fut, après 1958, une politique de décolonisation assumée par lamétropole : en Algérie, elle était le résultat d’une guerre, mais il en alla autrement en Afrique noire, française ou anglaise, et dans les autres parties de l’Empire britannique, où la négociation l’emporta sur la lutte armée ; les métropoles y souscrivirent, tellement était fort le contrecoup des événements du Proche-Orient… Comme si l’Europe avait décidément passé la main. Désormais, les deux Grands gouvernaient le monde, et s’annonçait la montée du Tiers-Monde.
Churchill et de Gaulle face à la décolonisation
« Je ne suis pas devenu Premier ministre pour présider à la liquidation de l’Empire », disait Churchill pendant la Seconde Guerre mondiale. Car l’Empire était sa gloire et depuis The River War , son premier grand texte sur la colonisation, écrit en 1899, il avait seulement condamné les excès du patriotisme, le jingoisme, et il se voulait tory (démocrate) ; il mit en cause, lors de la crise boer de 1900, les boutefeux type Kitchener, alors qu’on était en guerre. Pourtant, sur l’Inde, il adopta toujours les vues d’un vieil impérialiste. « Voyant ce qui s’est passé en Irlande, et ce qui se passe en Égypte, on ne peut pas blâmer ceux qui évoquent des concessions dans des possessions lointaines… Mais, en Inde, la Grande-Bretagne doit demeurer une vraie puissance. » En fait, Irwin et Baldwin voulaient concéder ce statut de dominion pour mieux conserver l’Inde. Churchill considérait que ce projet était chimérique, il ne fallait pas céder — et plus tard il s’aperçut que les conciliateurs sur l’Inde étaient ceux qui furent conciliateurs, aussi, avec Hitler. Il fut romantique contre les réalistes, qui, dans l’ India Defense League , s’associèrent avec Rudyard Kipling pour regrouper tous ces personnages, ces « colonel Blimps » dont la littérature s’est moquée, et qui allaient constituer l’UBI (Union of Britain and India). Il combattit l’ India Bill , pas seulement pour des raisons politiciennes mais parce que l’Empire incarnaitl’histoire de son pays, sa jeunesse à lui surtout ; il jugeait qu’à l’heure où montait le danger militariste hitlérien, et le nationalisme un peu partout, l’attribution d’un statut de dominion à l’Inde par des hommes tels que Baldwin et
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