Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
Eden, à Ben Gourion, disant que l’URSS était prête à utiliser toutes les formes modernes d’armes destructives s’il n’était pas mis fin à l’expédition.
Cependant, les troupes anglo-françaises avaient débarqué, elles progressaient vers Suez, mais durent s’arrêter, Londres et Paris cédant aux injonctions de l’ONU, de Washington, de Moscou.
Ce désastre de première grandeur, véritable « Diên Biên Phu diplomatique », discrédita ses responsables, — Eden d’abord, qui démissionna et abandonna la vie politique ; Guy Mollet ensuite, qui voulut en rappeler les aspects positifs : il avait sauvé Israël.
De fait, même s’ils furent amers d’avoir été ainsi arrêtés sur la voie du succès, les Israéliens gardèrent quelque reconnaissance à la France d’une opération qui contribua à la survie de leur État, qu’ils jugeaient menacé.
Pour la Grande-Bretagne, la crise de 1956 montra que désormais elle avait perdu son statut de grande puissance et qu’elle ne pouvait plus agir sans l’aval des États-Unis. Pour confirmer cette débâcle, les troupes anglaises quittaient Bagdad après la chute de Noury Saïd, en juillet 1958. En outre, cette défaite distendit les liens que Londres avait gardés avec ses anciennes possessions impériales, notamment l’Inde de Nehru, qui avait vivement condamné ce retour offensif du « colonialisme ». Dans le monde arabe surtout, la faillite se manifestait par le passage, en bloc, d’un certain nombre d’États à la « doctrine Eisenhower », qui les assurait de l’aide américaine « en cas de menace émanant d’une puissance contrôlée par Moscou et par les communistes ». Le pays visé était la Syrie, amie de Nasser, armée par l’URSS et qui avait des vues sur le Liban. Il s’agissait d’un retournement significatif puisque, un an plus tôt, c’était l’Irak qui menaçait la Syrie d’absorption.
Suez signait ainsi la fin du régime colonial de la Grande-Bretagne dans le monde arabe.
Pour la France et pour le mouvement national algérien, l’épreuve eut des conséquences à la fois décisives etparadoxales. Indépendamment du ressentiment des militaires qui, après les échecs de l’Indochine, du Maroc, de la Tunisie, gardèrent rancune au régime de n’avoir pas su ou osé aller jusqu’au bout à Suez (on sut assez vite que Boulganine ne pouvait pas mettre ses menaces à exécution, et qu’elles servirent à cacher l’intervention à Budapest), et indépendamment de la part que joua cet échec dans la chute de la IV e République, il eut des conséquences immédiates en Algérie, où la victoire de Nasser embrasa les foules musulmanes tandis qu’il faisait progresser à pas de géant l’internationalisation du problème. La plupart des pays du bloc arabo-asiatique étaient ralliés à la cause algérienne, le Liban seul faisant exception.
Mais, paradoxalement, la victoire de Nasser eut pour effet de susciter la méfiance du patriotisme ombrageux des leaders du FLN qui craignaient que Le Caire ne joue, cette fois pour de bon, un rôle trop grand dans leurs affaires. Si bien qu’on assista à une opération de décrochage et à une maghrébisation du problème algérien , plus exactement à un transfert vers l’Afrique du Nord du centre de gravité des actions de l’Algérie. Tunis devint ainsi le siège du Gouvernement provisoire de la République algérienne, ce qui durcit les rapports entre la France et Bourguiba. De sorte que, à cause de Suez, la politique Lacoste-Bourgès-Mollet aboutit à une « maghrébisation de la guerre », alors que l’alternative Mendès-Savary-Defferre eût voulu être une « maghrébisation de la paix », par la réalisation d’une sorte de Fédération des trois États d’Afrique du Nord, pour contrebalancer, à l’ouest, l’influence de l’Égypte et de la Ligue arabe.
Mais, surtout, l’effet réel de Suez fut l’apparition d’un Tiers-Monde ; jusque-là, à Bandoeng notamment, sa spécificité s’était affirmée, mais surtout pour exploiter et utiliser la rivalité États-Unis-URSS, un souci qui primait le besoin d’affirmer son identité et la légitimité d’un développement propre. Car les participants de la conférence de Bandoeng disposaient de peu de moyens, hormis la menace de passer d’un camp à l’autre — ce que l’Est et l’Ouest appelaient du « marchandage ».
Premier fait nouveau, que la crise de Suez met au
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