Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
surprise était totale, le retournement total aussi : ni le reste du monde ni les Africains ne s’attendaient à une telle rupture avec le passé. Une sorte de gouffre politique se présentait ainsi à des partenaires qui n’étaient aucunement préparés à le franchir.
Si bien qu’alors que dans les possessions françaises ou britanniques d’Afrique noire la décolonisation profita aussitôt aux militaires indigènes — les grands bénéficiaires —, à des fonctionnaires, à des leaders politiques, rien de tel ne se passa au Congo où les Belges continuèrent à régner depuis Bruxelles sur un pays qui devenait indépendant, l’Église seule réussissant à se dissocier de l’ancien pouvoircolonial. En 1960, il n’y avait plus d’État, et rien non plus à sa place. Une ère de conflits s’ouvrait, avec des violences inouïes, contre les officiers belges d’abord ; elle se perpétua par plusieurs guerres entre le gouvernement de Kasavubu et son Premier ministre, Patrice Lumumba, révolutionnaire et marxiste ; puis par la sécession du Katanga qui devint un État séparé sous l’égide de Moïse Tshombé.
La voie était ouverte à une internationalisation du conflit.
Pour les Belges, cette crise de 1959, un vrai cauchemar, fut bien la « sortie d’un conte de fées » (J. Vanderlinden).
Le contraste avec l’indépendance de la Gold Coast (Ghana) est éclatant pour qui regarde les newsreels qui reproduisent ces festivités de 1957 : dans une atmosphère de fête, cette nuit-là, en smoking, hommes d’État africains et élégantes noires et anglaises dansent au son d’une biguine, tandis qu’au loin des pirogues éclairées a giorno avancent au large d’Accra, au rythme d’une musique effrénée : en leitmotiv revient le mot « Liberty », et sont illuminés côte à côte les portraits de Nkrumah et de la reine d’Angleterre… Le Colonial Office avait retenu la leçon de ce qui s’était passé aux Indes, en Indonésie, au Vietnam : à peine arrivé en Gold Coast, le gouverneur Arden Clarke, qui avait servi en Sarawak et suivi de près les événements d’Asie, sut sortir Nkrumah de prison et le laisser gagner les élections. Quel exemple ! Il est vrai que les Britanniques du Colonial Office s’étaient mis à avoir un faible pour les mouvements nationalistes d’Afrique de l’Ouest. Leurs leaders avaient fait de bonnes études à Oxford ou aux États-Unis, participaient au mouvement panafricaniste surtout anglophone et paraissaient plus proches de la tradition anglaise que les Sud-Africains blancs de Johannesburg ou même du Cap, qui critiquaient la politique de Londres, trop favorable selon eux à l’émancipation des Noirs. A tort ou à raison, les Britanniques regardaient avec plus de suspicion les mouvements de l’Afrique orientale, au vrai voisins du monde arabe, et où les conflits entre Noirs, Indiens et Blancs semblaient insurmontables. Il fallaitpourtant les résoudre eux aussi, car le repli anglais au Moyen-Orient avait pour effet de placer désormais l’Afrique en première ligne, et Stafford Cripps avait même ajouté que « l’avenir de la zone sterling dépendait désormais de l’habileté de l’Afrique à se développer ».
C’est en Afrique orientale que la contradiction apparut le plus nettement entre, d’une part, les exigences d’un développement économique réactivé — ce qu’on a pu appeler la deuxième colonisation — et associé à la mondialisation des marchés ; avec pour corollaire la pénétration du système colonial jusqu’au fond des campagnes les plus reculées ; et, d’autre part, la volonté mal maîtrisée d’un passage de l’administration directe ou indirecte à un début de système représentatif ; or, à ce niveau commencèrent à s’opposer les chefs traditionnels et de nouveaux leaders, commerçants ou enseignants, représentants de groupes ethniques exclus, etc. En Ouganda comme en Tanganyika et au Kenya, ces contradictions sécrétèrent un nationalisme et une vigilance des groupes en conflit qui plaçaient leurs mandants sous surveillance. Eu égard aux différents groupes ethniques, dont la représentativité s’affirme, et au lobby colon qui commence à s’organiser, Londres se rend compte, certes, qu’aller de l’avant trop lentement est pire que se hâter : quatre ans séparent pourtant l’indépendance du Tanganyika de celle du Ghana et six de celle du Kenya (1963).
1960 avait
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