Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
En Afrique noire, si nous savons les devancer [c’est nous qui soulignons], nous pourrons rétablir dans ce pays un climat de confiance et de concorde. » Ce devait être la loi-cadre, dont le projet avait été préparé par Pierre-Henri Teitgen et que Defferre fit adopter « sachant que les populations d’Afrique noire ont les yeux fixés sur ce qui se passe en Afrique du Nord ». La réforme accordait le suffrage universel et le collège uniqueà tous les territoires d’Afrique noire et de Madagascar. Elle prévoyait la création de conseils de gouvernement élus dont les membres seraient des « ministres », et l’extension des pouvoirs des assemblées territoriales élues. Ainsi étaient amoindris les pouvoirs des gouvernements généraux et accru le pouvoir législatif de chaque territoire. « Balkanisation », répondit Senghor. « Marcher avant de courir », commenta Houphouët-Boigny. Pour les Africains, il s’agissait d’une étape, mais ils se divisaient sur la forme d’autonomie et la nature des liens qui les uniraient entre eux, et à la France.
« Rétablir » le climat de confiance, avait dit Gaston Defferre. Il est vrai que, depuis le soulèvement et la répression à Madagascar, l’exil du sultan du Maroc, l’apparition des fellaghas en Tunisie (ensuite en Algérie), une partie des dirigeants africains étaient inquiets, circonspects. Il y avait aussi la crainte, chez eux, que l’écart culturel fût trop grand entre les élites politiques, idéologisées même, intégrées dans des luttes partisanes françaises, et des mouvements ethniques protestataires, autonomes et incontrôlés, une situation qui exista de façon typique dans les colonies portugaises. Car leur détermination de demeurer dans l’aire culturelle française était sans ambiguïté ; ils le prouvaient en ne participant que du bout des lèvres au mouvement panafricaniste. Au contraire, les élites noires manifestaient une vive activité dans le cadre de la vie politique française, mais elles étaient impatientes d’accroître leur pouvoir sur place, avant que, comme en Guinée, ne soit dénoncée la « collusion » entre certains dirigeants de parti et la chefferie traditionnelle.
Par ailleurs, l’ONU commençait à manifester ses sentiments de réserve vis-à-vis de la politique coloniale française : elle les exprima d’abord à propos des territoires sous tutelle, le Togo et le Cameroun. Le premier devient une République autonome, puis en association avec la France, mais, en 1958, le Togo en appela à nouveau à l’ONU qui fit accepter au gouvernement de Félix Gaillard le principe d’une consultation populaire dont l’issue fut l’indépendance, décidée en septembre 1958, pour 1960. Ces péripéties avaient eu pour effet de ne pas aboutir à la réunion desEwés, du Togo ex-britannique et du Togo ex-français, qui avaient été à l’origine des revendications des leaders du pays, tel Sylvanus Olympio.
Le même problème de la réunification des deux parties du Cameroun se posait, mais autant le nord du pays était prêt à s’associer au Nigeria, autant le sud souhaitait l’union avec le Cameroun « français » : le vote des populations, sous l’égide de l’ONU, rendit possible cette issue. Mais, au Cameroun « français », le mouvement de protestation contre la puissance de tutelle fut beaucoup plus violent que dans le reste de l’Afrique noire. L’existence de 84 partis politiques, en 1955, était le signe de l’enracinement réel des enjeux politiques dans une population aux ethnies nombreuses et dont l’unité, formelle, était le fait de l’occupant. Dès 1948, la vie politique était pourtant dominée par un parti, l’UPC (Union des peuples du Cameroun), à la fois révolutionnaire, proche des communistes, mais lié aussi aux milieux anticolonialistes du Caire. Son impatience nationaliste s’exprima par de graves émeutes en 1955 qui, après l’interdiction de l’UPC, donnèrent naissance à un terrorisme et à des conflits armés qui durèrent jusqu’en 1960. Face à l’UPC de V.M. Nyobé, la France s’appuyait sur les partis modérés qu’animait un musulman du Nord, Ahmadou Ahidjo, qui obtint de l’ONU la levée de la tutelle française en 1958, mais de connivence avec Paris. De sorte que, paradoxalement, l’indépendance fut accueillie par l’UPC et une partie de la population comme une sorte de trahison, ce qui ranima de violentes luttes civiles, et
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