Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
respecte, plus que les mamelouks, Dieu, son prophète et l’Alcoran » — c’est-à-dire le Coran.
Le deuxième trait est sans doute l’enracinement de cette aventure dans une conjoncture plus longue, que l’historiographie traditionnelle occulte en découpant le récit des événements en tranches chronologiques : Ancien Régime, Révolution, Empire, Restauration. En 1797, en effet, toujours à l’Institut, Talleyrand avait repris un projet de Choiseul réclamant la cession de l’Égypte à la France, pays à la mode, au reste, dont Voltaire avait fait la description, après Savary, dans son Voyage en Égypte et en Syrie . Il s’agirait de rouvrir la route de l’Inde, pour rejoindre l’allié Tippoo-Sahib, devenu sultan de Mysore, en 1784 (Y. Benot).
La nouveauté est que le projet s’associe à une idée qui émerge : démanteler cet Empire ottoman, dont on annonce l’effondrement imminent, et auquel Catherine II et Joseph II voudraient substituer un Empire grec, quitte à en rafler au passage quelques lambeaux. L’Espagne et la France auraient leur lot. A celle-ci serait attribuéel’Égypte, ou bien le pays des Barbaresques. En 1802, d’ailleurs, Bonaparte prévoit une expédition contre Alger, « car ses brigandages sont la honte de l’Europe et des Temps modernes ». Puis, à nouveau, en 1808, il imagine une reconquête de l’Égypte pour que ne la gardent pas les Anglais. Ainsi naît la rivalité à propos de cet « homme malade », l’Empire ottoman, sur lequel Napoléon n’a pas pu mettre la main, malgré ses premières victoires. Mais lorsque, après avoir vaincu les armées napoléoniennes, les Anglais veulent s’installer, Méhémet-Ali les contraint à rembarquer, et, avec les Français demeurés sur place, se trame l’alliance entre les deux pays.
Surtout, l’expédition d’Égypte et le projet d’Alger expriment bien un tournant de l’histoire de la colonisation : car ses promoteurs la déclaraient inscrite dans la lutte contre la traite et l’esclavage ; ils inauguraient ainsi l’argumentaire des conquérants de l’Afrique, au XIX e siècle.
U NE PARENTHÈSE : GRANDEUR FUGITIVE DE L ’ IMPÉRIALISME ÉGYPTIEN (1820-1885)
Au moment même où la France et l’Angleterre avaient des visées sur l’Égypte, celle-ci commençait à s’émanciper de l’Empire ottoman et retrouvait les voies anciennes de l’impérialisme et de la colonisation arabes vers le sud, vers le Soudan. A cette date, sa principale source d’esclaves blancs diminuait, depuis que les Russes progressaient dans le Caucase. Privés de leurs Circassiens et Géorgiens, les États musulmans avaient dû se tourner vers d’autres sources pour s’alimenter en esclaves, et on assista à un élan nouveau de ce trafic le long de la vallée du Nil. Là se trouvait un des premiers motifs de l’expansion égyptienne vers l’Éthiopie, dont les esclaves hommes, et femmes surtout, étaient plus appréciés que les zandjs (les Noirs).
Méhémet-Ali, vice-roi d’Égypte, pour pouvoir les utiliser au Hedjaz, comptait néanmoins incorporer ces Noirs dans son armée, car les autres soldats du Nizam Al-Jadid (nom donné à son armée instruite à l’européenne) supportaient mal les chaleurs de l’Arabie. Il s’agissait pourl’Égypte de reprendre les Lieux saints aux Wahabites. Ainsi, maître du Caire, du Soudan, des Lieux saints, Méhémet-Ali reconstituerait le grand Empire arabe…
L’Empire turc XV e - XVII e siècle
Source : D’après l’Atlas Hachette, Histoire de l’humanité , © Hachette, 1992.
La conquête du Soudan avait commencé du temps de la domination ottomane, au nom du vice-roi ; il fallut plusieurs décennies pour qu’elle atteigne le Darfour — vers les sources du Nil —, mais l’essentiel du pays était conquis entre 1820 et 1826. En 1824, les Égyptiens fondaient Khartoum, instituaient un régime d’impôts qui allait susciter maintes révoltes, imposaient le turc osmanli comme langue administrative. Dans la tradition de l’Empire ottoman, le multi-ethnisme des dirigeants s’affirmait jusque dans la colonisation puisque, sur les 24 gouverneurs de 1821 à 1885 — période ottomane puis égyptienne proprement dite —, il y eut 8 Circassiens (Tcherkesses), 2 Kurdes, 5 Turcs, 2 Grecs, 1 Albanais, 1 Anglais (le futur Gordon Pacha) et un seul Égyptien. La base de taxation choisie fut la terre, l’unité taxée étant le nombre de grandes roues
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