Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
problème. En effet, si les colonies coûtaient cher à l’État, elles rapportaient gros aux intérêts privés de la métropole.
En outre, autre facteur passé sous silence, les dépenses contribuaient à l’enrichissement de ces citoyens devenus colons et qui, en métropole, n’auraient pas connu les mêmes avantages et n’auraient pas pu s’enrichir de la même façon : il serait utile de calculer quelle fut la progression du niveau de vie des Français d’Algérie, fonctionnaires y compris, un siècle après la conquête totale du pays, de la comparer à celle des métropolitains… (cf. ici ).
Le fait aussi de maintenir l’Algérie dans un état préindustriel assurait aux capitaux placés dans l’industrie métropolitaine un débouché sans risque, étant donné le protectionnisme régnant sur ces « départements ».
Si l’étranger est hors jeu dans l’entreprise algérienne de la France, il ne l’est pas en Tunisie où les puissances européennes rivalisaient pour établir leur influence par l’intermédiaire de leurs consuls : l’Italie, avec Maccio, la France, avec Roustan, la Grande-Bretagne, avec Wood.
La méthode consistait à obtenir des concessions detravaux publics pour le pays, à laisser le Bey contracter des emprunts qu’il se trouverait un jour incapable de rembourser — une méthode qui fut particulièrement opératoire en Tunisie et en Égypte. En Tunisie, la rivalité franco-italienne est vive ; elle devient visible lorsque la compagnie Rubattino achète la concession du chemin de fer Tunis-La Goulette à une compagnie anglaise en éliminant la compagnie française des chemins de fer Bône-Guelma. Déjà, ces trois pays siégeaient à la Commission financière de la Dette, véritable protectorat à trois sur la Régence, la présence d’un Français à la vice-présidence, Victor Villet, assurant la prééminence à la France. Enfin, ayant réussi à faire nommer un de leurs clients, Kheredine, Premier ministre, les intérêts français peuvent acquérir le domaine de l’ Enfida , près de 90 000 hectares. Il se forme ainsi une sorte de consortium financier où se trouvent à la fois ceux qui spéculent sur les terrains et ceux qui spéculent sur les valeurs tunisiennes. Ses membres, qui constituent un des noyaux du Parti colonial, « fréquentent chez Gambetta » et ne peuvent ignorer ce qui se trame dans les milieux politiques et y collaborer, une connexion qu’a pu identifier Jean Ganiage.
Une phrase de Lord Salisbury avait produit son effet : « Vous ne pouvez pas laisser Carthage aux mains des Barbares », avait-il dit à Waddington au moment où l’Angleterre entendait se saisir de Chypre (1878). Disraeli avait confirmé, et les difficultés que Wood annonçait à Tunis même pouvaient ainsi être surmontées. De fait, dès que l’Italie pressentit les visées françaises, elle protesta, multiplia les envois de colons, qui étaient bientôt 10 000 face à 1 000 Français, remua Bismarck et Gladstone — successeur de Salisbury —, pas mécontents que naisse une rivalité franco-italienne. Mais Bismarck pensait qu’après la perte de l’Alsace-Lorraine il serait peu habile que la France rencontrât l’Allemagne sur sa route en toute circonstance. « La poire est mûre », dit-il à l’ambassadeur de France, « à vous de la cueillir ».
La Sublime Porte, théoriquement suzeraine, n’avait jamais admis, quelques décennies plus tôt, la perte de l’Algérie comme irréversible. Depuis, à partir de la Tunisie, de fréquentes incursions eurent lieu en Algérie qui visaient les colons français qui s’étendaient en tache d’huile… On en a comptabilisé 2379, de 1871 à 1881 : ce fut la 2380 e qui fut la bonne, car elle donna le prétexte voulu à l’armée française pour mettre fin au « danger Khroumir ». La facilité du succès surprit tout le monde ; et les Allemands firent un geste pour détourner les Turcs d’une intervention depuis la Tripolitaine. L’Italie protesta, il y eut des soubresauts dans le sud du pays qui nécessitèrent une deuxième expédition ; mais le traité du Bardo signé par le Bey fut ratifié par la Chambre française malgré Clemenceau et grâce à Jules Ferry.
Il fut suivi, en 1883, par la convention de La Marsa qui établissait le protectorat de la France sur la Tunisie, formule nouvelle, qui était une concession à la fois aux puissances rivales et au Bey, dont le gouverneur général
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