Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
est fière de ses réalisations : plantations de bananes à N’Kongsamba, d’hévéas à Disangue, équipes médicales à partir d’Ayos, etc. Les élites s’y sont développées rapidement, celles du secteur privé manifestant leur désir impatient et leur ambition de prendre en main les affaires de leur pays. « Ambition légitime », écrit Pierre Messmer à Gaston Defferre en 1956. Mais le premier obstacle est de parvenir à faire élire une assemblée vraiment représentative. Or, déjà, au maquis dès 1955, le « tribun du peuple » Um Nyobé a soulevé une partie des populations ; car l’administration parlait « meilleure gestion » quand les élites du pays parlaient « indépendance ».
L E MÉDECIN ET L ’ HÔPITAL
Avec l’instituteur, le médecin a toujours servi à légitimer la présence du colon. Aborder son rôle, ses succès, sa fonction, ses limites n’est pas seulement un problème humain, ou démographique, c’est également un problème politique — ce que la profession médicale récuse, se voulant une pratique scientifique, et cela seulement.
Qu’avant de soigner les indigènes, le médecin ait d’abord été un instrument au service de l’Empire, voilà qui apparaît dès les origines, lorsque les Anglais créent l’ Indian Medical Service en 1714. Le but est de soigner soldats et colons britanniques, tout comme les Services de santé sont au service des troupes de la marine royale, impériale ou républicaine. Cette lutte de la médecine se transforma en une sorte de croisade contre la maladie au point qu’à l’apogée de l’ère coloniale, au début du XX e siècle, se posa carrément la question : qui l’emporterait du moustique ou de l’homme ; dès les années vingt de ce siècle, l’avenir de l’impérialisme était lié aux succès du microscope. Par exemple, le combat de l’homme contre la mouche tsé-tsé devint « le combat pour l’Afrique ».
Au vrai, petit à petit, la médecine soignait également les indigènes et d’abord, naturellement, ceux qui travaillaientpour les colons ; puis l’œuvre médicale s’étendit à la population tout entière, et c’est alors que celle-ci prit l’allure d’une épopée ; l’action médicale des pastoriens, la publicité qui lui fut accordée en métropole incarnent assez bien la manière dont le colonisateur appréciait son œuvre outre-mer.
Or la mesure des bienfaits de la médecine occidentale doit être évaluée aussi de deux autres points de vue : celui des patients indigènes, d’abord ; puis en tenant compte du fait que les colonisateurs ont apporté avec eux une médecine savante, certes, mais dans le même temps de nouvelles maladies jusque-là ignorées des populations indigènes 2 .
Algérie, résistance à la vaccination
Jusqu’aux découvertes pastoriennes, la médecine européenne n’obtient que des succès limités, et elle se heurte à la méfiance indigène. En Algérie, par exemple, elle s’était voulue le vecteur de la civilisation, capable de transformer l’homme et ses mentalités. On s’imaginait alors que la science résoudrait tous les problèmes de la santé, que la population arabe serait fascinée par ses succès ; au fond, le médecin allait réussir là où le militaire, le prêtre pouvaient échouer. De fait, certains remèdes étaient efficaces, la quinine notamment, victorieuse de nombreuses fièvres, et même quelquefois de la malaria. Son succès fut certain au sein des populations arabes, comme le fut celui des gouttes contre les différentes ophtalmies, dangereusement présentes dans le pays. On accepta aussi bien des leçons de l’hygiène.
Mais les Arabes résistent à la vaccination antivariolique. D’abord, comme les populations rurales de la métropole, ils se méfient de cette injection, nouvelle technique qui est le contraire de l’usage de la saignée ; mais, tandis qu’en France on craint que de la matière animale, venue de la vache, n’ait des effets pervers, les Arabes ne veulent pas que du « sang » européen se mêle au leur. En outre, la vaccination constituait une forme d’assimilation des Arabes aux Français puisqu’il s’agissait d’une mesure collective qui plaçait les uns et les autres sous le régime de la même loi.Ce n’est qu’avec l’apparition des premiers médecins arabes adeptes de la vaccination, sous le Second Empire, que celle-ci fut acceptée (Anne Marcovich).
Jusque-là, la
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