Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
1889, l’ Anversoise , fondée en 1892… Fascinés par les bénéfices que ces sociétés accumulaient, les Français voulurent imiter les Belges dans « leur » Congo : en 1898, le ministère des Colonies reçut 119 demandes de concessions, définies comme « entreprises de colonisation » : par exemple, la Compagnie des sultanats du Haut-Oubangui reçut une concession de 140 900 km 2 . Le cahier des charges prévoyait que l’État recevrait une redevance fixe et 15 % des bénéfices. Bien que les abus commis aient été dénoncés très tôt, notamment dans les Cahiers de la Quinzaine de Charles Péguy, ils n’en continuèrent pas moins.
Trente ans plus tard, en 1929, le rapport Grimshew, remis à Genève au Bureau international du travail, rendait compte de l’état du travail forcé en Afrique noire grâce à une enquête à laquelle avaient collaboré notamment les Missions chrétiennes qui « avaient pu libérer leur conscience en révélant les abus odieux dont étaient victimes leurs ouailles ». Il ne s’agissait pas de travail obligatoire, mais bien de travail forcé, sous la menace — par exemple, sous la forme d’une conscription militaire, globale pour tout un village, pour une durée variable de deux à dix-huit mois. Ce travail était, au mieux, rémunéré à un taux minimal, versé soit aux requis soit à leur chef qui répartissait ou non ce qui lui était versé. Les travailleurs pouvaient être, réglementairement, expédiés jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres de leur habitat sans indemnisation en cas de blessure, de maladie, de mort. D’après les textes des arrêtés des gouverneurs des colonies, ces travailleurs pouvaient être considérés comme affectés à des travaux d’intérêt général ou local : portage, travaux publics, entretien des concessions constituaient les tâches traditionnelles. Il pouvait arriver que ces exigences se combinent avecl’obligation de pratiquer certaines cultures : coton, ricin, café, etc.
« Il est fréquent de voir des femmes et des enfants occupés à la réfection d’une route », note le rapport ; ce n’est pas l’administration qui est directement à l’origine de cet abus. Mais elle a exigé du chef local qu’il y fasse participer les hommes de son village. S’il manque d’autorité et de moyens disciplinaires, il a recours à des éléments plus soumis ou plus faibles ; et l’administration ferme les yeux (extraits du rapport, in F. Auplais, « Le travail forcé », Revue apologétique , n o 527, 1929).
Un administrateur, qui se définit comme « libéral et un peu romantique », L. Sanmarco, expose que durant ces années trente, alors que la doctrine officielle prônait l’assimilation, on pratiquait de la sujétion soit sous la forme d’un paternalisme protecteur, soit d’une exploitation pure et simple. « Quant à la vitesse à laquelle on passerait de la sujétion à l’égalité des droits, pour beaucoup, même chez les plus humains, c’était la vitesse zéro. » L’ancien administrateur, qui a exercé notamment au Cameroun, explique : « Je ne rougis pas, bien au contraire, d’avoir participé à cette aventure ambiguë. Dans la mesure où le système avait un côté critiquable, il donnait au moins l’occasion de lutter contre et de l’améliorer. » Il explique comment il confronta son expérience avec celle de Jeffreys, son collègue de la partie britannique du pays. Il explique comment il s’arrange pour accroître comme il peut le salaire de ses porteurs, mais il est prisonnier d’une réglementation tatillonne à qui il adresse des « états de frais » nécessairement faux d’un bout à l’autre, parce que inadaptés, et qu’il doit faire signer à des porteurs analphabètes. Il s’aperçoit qu’au poste anglais c’est un Africain qui juge, au Trésor un Africain qui manipule les fonds ; et un Africain pour ceci et un Africain pour cela… « Jeffreys fait des tournées comme moi à pied avec des porteurs, au retour il indique “ Out of my pocket , tant” ; et on le rembourse sans autre discussion. On admet qu’il est un gentleman ; on ne le contrôle pas, ce qui évite les frais de contrôle ; le jour où on ne l’admettra plus, on le licenciera » (L. Sanmarco, Souvenirs de colonisation , manuscrit).
Le Cameroun diffère largement du reste de l’Afrique équatoriale, il est plus riche, plus diversifié, plus évolué aussi. L’administration y
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