Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
développa-t-elle avec la mainmise sur le Congo ? On observe d’abord qu’à la différence du SIDA aujourd’hui la maladie du sommeil n’a pas émigré, ni en Amérique, ni par le Népal, en Inde. On observe aussi qu’elle a accompagné le changement de vie des habitants, leur appauvrissement — se propageant dans les zones où régnait la famine. On a dit, également, qu’il n’existe pas de maladies tropicales en soi, et que certaines d’entre elles, ou définies comme telles, ont pu apparaître aussi bien dans des régions tempérées, la lèpre par exemple, ou le choléra, bref qu’il s’agit de maladies, voire d’épidémies, de la pauvreté — qui n’atteignent que les individus les plus vulnérables.
En Amérique, en revanche, la variole n’existait pas, mais pas du tout, avant que les Européens n’en contaminent les Indiens.
L’Afrique du Sud, ségrégation
Dans les pays à forte population blanche, l’Afrique du Sud par exemple, longtemps le problème des dirigeants fut de se demander si les épidémies connaissaient les barrières raciales… De fait, ce sont les barrières sociales qui épargneraient aux plus aisés d’en connaître les effets. C’est clair pour le choléra, qui fréquente les bas quartiers sans eau courante. Néanmoins, comme les microbes voyagent vite, en Afrique du Sud ce furent les fonctionnaires de santé qui furent les plus actifs à préconiser la ségrégation des quartiers noirs. Un véritable cordon sanitaire fut institué pour protéger les Blancs de la peste bubonique qui naguère s’était propagée depuis Durban, au Natal. En 1917, un scandale éclata lorsque les autorités vidèrent les trains amenant des Noirs vers les mines, pour protéger le Rand d’une extension possible du typhus. A la gare de Sterkstroom, province du Cap, on les dénuda et on les passa tous, de salle en salle — A, B, C —, hommes et femmes, en les douchant et en les tondant tous avec une inhumaine brutalité : il y eut des morts (in Marks et Andersson).
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’Afrique du Sud ait été le premier pays à posséder, mais au bénéficedes Blancs, une politique sanitaire rigoureuse — la maladie passant par les Noirs, parce que pauvres. Lorsque la variole se déclara à Kimberley, on évita pourtant de prononcer son nom pour ne pas tarir l’arrivée des travailleurs noirs qui en connaissaient les effets. La coercition fut moindre que pour le typhus, car là, grâce au microbe antiraciste, l’épidémie pouvait aussi toucher le Blanc.
Retournement : les médecins indiens en Grande-Bretagne
Ainsi, il se trouve que c’est en Inde anglaise que la pratique coloniale a fini par correspondre au discours « de la civilisation » — mais par un jeu paradoxal de causes et d’effets surprenants.
A l’origine, en effet, il s’agit bien, ici comme dans les autres possessions impériales, de protéger les soldats de Sa Majesté : durant la première moitié du XIX e siècle, 6 % seulement des morts dans l’armée perdirent leur vie au combat, le reste ayant succombé à une maladie : les fièvres, d’abord, avec les trois quarts des admissions dans les hôpitaux militaires, les dysenteries ensuite, et le choléra surtout, quand les troupes étaient en déplacement. Ces maladies endémiques frappent aussi les Indiens, mais les troupes indiennes ne sont ni plus ni moins vulnérables que les Britanniques, ce qui prouve qu’il faut considérer le problème de la santé dans son ensemble, tâche qui semblait insurmontable dans un pays si peuplé et où des dizaines de millions de fidèles se déplacent chaque année pour aller en pèlerinage. La politique de ségrégation se trouva ainsi légitimée, et elle pouvait se donner bonne conscience puisqu’elle concernait à la fois des Anglais et des Indiens, dans les cantonnements comme dans l’administration. Il se constitua ainsi un double réseau de cordons sanitaires : celui qui protégeait les forces armées et l’administration britanniques ; et celui qui isolait les pèlerins de tout contact avec le reste de la population ; mesures de quarantaine plus ou moins appliquées sauf aux abords des quartiers militaires.
Après la grande épidémie de peste de 1896-1918 qui coûta la vie à plus de 10 millions d’Indiens, et plusieursépidémies de choléra, il apparut nécessaire de mettre fin à une politique de laisser-faire qui avait conduit à laisser aux
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