Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
l’arboriculture a appauvri la clientèle et, en plus, la rupture des relations économiques avec la Chine a mis fin à un marché traditionnel (J. Chesneaux, in collectif Berque-Charnay).
La priorité donnée au commerce avec la métropole a conduit à négliger la production destinée au marché intérieur, et a amené la disjonction entre des régions naguère complémentaires. Ainsi, la liaison nord-sud n’a été prise en charge que tard, par le chemin de fer, mais, en 1920, les deux tiers de ses recettes venaient des voyageurs — pas des marchandises. La mise en valeur du pays, si profitable aux groupes français, a rompu un équilibre, déclenché des phénomènes de migrations, eux-mêmes à l’origine d’une prolétarisation, vécue comme une déchéance. Entre 1890 et 1937, les rizières qui appartenaient aux sociétés françaises ont vu leur surface passer de 11 000 hectares à 800 000 hectares, de sorte que 45 % de la production de riz étaient entre les mains du colonisateur (à peine 80 000 sur 20 millions d’habitants). La progression du caoutchouc a été, aussi, exceptionnelle. Et les mines avaient un rendement tout à fait satisfaisant ; le consortium qui s’est mis en place, en 1898, sous la houlette de la Banque d’Indochine, regroupe toutes les grandes banques françaises (Société générale, Comptoir national d’escompte, etc.) ainsi que la Société des Batignolles, la Régie générale des Chemins de fer. Le bilan représente 16 % des capitaux absorbés par l’Empire ; les investissements publics étant à peu près le double des investissements privés (426 contre 230), selon Jacques Marseille.
Si ce n’est que, sur les chantiers insalubres du Tonkin, sur 100 ouvriers venus d’une région saine et chassés par ces déséquilibres, 25 ont été éliminés par décès ou évacuation au bout de six mois ; et la capacité de travail du groupe adiminué de 44 %. Dans le langage colonial on fait ce commentaire : « En Inde [aussi], de 1901 à 1931, la malaria a tué directement trente millions de personnes. Elle a indirectement [c’est-à-dire en favorisant l’action d’autres maladies] tué plus d’hommes encore. Mais le fait le plus grave peut-être est qu’une mort par malaria correspond au moins à deux mille jours de maladie, c’est-à-dire d’indisponibilité » (sic) .
Les premiers incidents graves, au Vietnam, visaient les agents recruteurs. Bientôt la garnison de Yen Bai se soulevait (1930), puis avait lieu la grande marche des paysans dans le Nghe An, le Ha Tinh et le Quang Ngai, c’est-à-dire entre les deux sacs, le long du bâton — en Annam.
L ’ ADMINISTRATEUR ET LE TRAVAIL FORCÉ
En Afrique équatoriale surtout, des techniques complexes de troc se substituèrent à la « troque » d’origine, lorsque les Européens s’installèrent plus avant dans leurs conquêtes, au XIX e siècle. L’usage des monnaies se généralisa, et, pour en bénéficier ou encore payer l’impôt, l’usage du travail forcé se développa, contrôlé par des Africains autant que par l’administration. Ainsi, ce travail forcé se trouva dédoublé, une partie servant à l’équipement du pays, l’autre s’exerçant au bénéfice des négociants. De sorte que, peu à peu, l’impôt ainsi que le travail forcé puis les cultures obligatoires se substituèrent à la traite qu’avec la civilisation on entendait supprimer…
Ce fut sans doute dans le royaume du Congo que fut établi le système d’exploitation le plus dur, au nom de l’ivoire et du caoutchouc. Le travail forcé s’y perpétua de longues décennies, au bénéfice des chefs africains et de leurs commanditaires. Son exercice aboutit au dépeuplement de provinces entières, voire à une dépopulation endémique. Dans les 13 villages du district du lac Mantounba, par exemple, la population passa de 9 450 âmes en 1893 à 1750 en 1913. Emmenés au loin pour travailler, beaucoup décédèrent. Le nombre de villages ainsi désertésou perdus ne se compte pas, et un texte de E.D. Morel, King Leopold’s Rule in Africa (1904), reproduit dans le livre de M’Bokolo, établit l’inventaire de ces zones et villages victimes d’une dépopulation liée aux impôts, au travail forcé, aux mauvais traitements, à une pression constante de l’administration coloniale ou de sociétés privées qui agissaient impunément : la Compagnie du Congo pour le commerce et l’industrie , fondée en
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