Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
ont rarement pu s’élever — malgré l’école. L’écart entre l’idée qu’on se fait des possibilités qu’ouvre l’école et les dures réalités de la colonisation, un adolescent en témoigne :
« A l’école j’avais personne pour m’aider. Ma mère ne savait ni lire ni écrire en français. En classe je n’étais pas très bien placé. Je n’apprenais pas. J’avais personne pour me pousser, quoi. Alors j’ai dû quitter l’école à douze ans et travailler… » (1958).
« Quand un Arabe cherchait à avoir un métier, à se débrouiller pour, on cherchait à l’éliminer. Le colonel avait déconseillé à mon premier patron de me laisser apprendre à travailler. “Après il va vous quitter”, il avait dit » (ibid ., témoignage).
Pourtant, dans La Dernière Image , réalisé en 1986, Mohammed Lakhdar Hamina ressuscite avec tendresse l’amour de ses jeunes camarades d’enfance pour leur institutrice française, pour leur école aussi — qui fut pour eux un espace de liberté et de bonheur où ils pouvaient s’épanouir. Cinquante ans après l’indépendance, il semble bien que ce soit l’impression qui domine : grâce à ce film elle ne s’effacera pas…
Expérimentations coloniales
U NE EXCEPTION PORTUGAISE ?
« Nous seuls avant tous les autres avons apporté à l’Afrique l’idée de droits de l’homme et de l’égalité raciale. Nous seuls avons pratiqué le “multiracialisme”, expression la plus parfaite de la fraternité des peuples. Personnedans le monde ne conteste la validité de ce principe, mais on hésite quelque peu à admettre que c’est une invention portugaise, et le reconnaître accroîtrait notre autorité dans le monde » (Franco Nogueira, ministre des Affaires étrangères, 1967). Cette fière apostrophe, énoncée alors que la guérilla se développe en Guinée-Bissau, en Angola, au Mozambique, n’est pas un propos improvisé. L’idée qu’elle porte est bien enracinée dans la conscience historique des dirigeants portugais ; elle a même de l’écho hors du monde lusitanien. Au reste, dès le XVII e siècle, le Portugal dénommait « provinces d’outre-mer » ce que d’autres métropoles appelaient colonies. En 1576, l’historien Joao de Barros parlait de « notre province du Brésil » ; et si le terme colonies a pu être employé, il a été officiellement aboli en 1822 lors de l’élaboration de la Constitution, qui instituait le principe de l’indivisibilité du territoire portugais et de la citoyenneté de tous ses habitants. Il est revenu, à la fin de la République de 1926, avant que Salazar ne le fasse disparaître à nouveau en 1951. Cette simple énumération dit bien que le double problème du statut des conquêtes et de celui de ses habitants fait partie de l’héritage mental des dirigeants portugais.
Dans le cas du monde lusitanien, le fait original est bien que ce souci et ces idées ont été également énoncés hors de la métropole, et notamment au Brésil, où elles ont été popularisées par le grand écrivain Gilberto Freyre. Au vrai, son livre Casa grande e senzala (1933), traduit en France sous le titre Maîtres et Esclaves , participait à un courant de revalorisation de la culture brésilienne, lié à la crise des années vingt, qui hissa Getulio Vargas au pouvoir, et aussi à l’intégration d’une grande vague d’immigrés italiens et allemands.
Alors que jusque-là dominait une idéologie raciste, Gilberto Freyre revalorisa l’apport des Noirs à la culture brésilienne, concluant surtout que le métissage entre Blancs et Noirs avait été la grande chance de ce pays. Loin d’être une honte, ce métissage était l’annonce d’une fusion des races, seule susceptible d’assurer son avenir à l’humanité. A sa manière, le Portugal de Salazar récupéra à son avantage ce diagnostic, et il s’attribua le mérite de ceprocessus, revalorisant ainsi tout son passé colonial à un moment où l’outre-mer n’intéressait plus personne — étant donné sa déchéance et sa faillite économique. L’éditorial de O mundo portuguez disait bien en 1935 : « Nous devons garder vivante la fierté d’avoir fondé un Empire… L’Afrique n’est pas seulement une terre agricole, elle est plus. Pour nous, elle est une justification morale et fait de nous une Puissance. Sans elle, nous serions un petit pays. Grâce à elle, nous sommes une grande nation. »
Mais l’influence de
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