Histoire du Consulat et de l'Empire
voyageurs de retour d'un pays où sévissait la peste.
L'accueil est enthousiaste. Les témoignages sur ce point concordent, même si leur caractère dithyrambique ne doit pas tromper.
Suivons par exemple Lavalette, relatant l'arrivée à Fréjus. « Un cheval blanc lui fut amené, et il alla descendre chez le frère de l'abbé Sieyès, 'qui habitait cette ville. Il ne fut bientôt plus possible au général de se tromper sur les sentiments qui animaient toute la population. " Vous seul pouvez sauver la France, lui criait-on de toutes parts ; elle périt sans vous, c'est le ciel qui vous envoie, prenez les rênes du gouvernement 5 ". » Même si ce témoignage comporte une part de recréation, il recèle des éléments montrant la stratégie de Bonaparte. Ce dernier se rend en effet chez le frère du directeur, dont il connaît le poids à la tête de l'État. Pour un homme habitué aux relations claniques dont la Corse a le secret, ce choix est un signe évident de rapprochement avec l'homme fort du régime.
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LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE (1799-1804)
Mais tout au long de sa marche vers Paris, il multiplie les gestes de ce genre. Ainsi, à Lyon, il croise le général Marbot, jacobin avéré, remercié de son commandement parisien et envoyé à l'armée d'Italie. Lors de leur rencontre, il tente de le rallier et, n'ayant pu y parvenir, s'attache à se montrer avec lui, comme le rapporte le fils de Marbot, futur général d'Empire, qui décrit « Bonaparte, se rapprochant de [son] père avec un air patelin, passer amicalement son bras sous le sien, probablement pour que les autorités qui se trouvaient dans la cour et les nombreux curieux qui encombraient les croisées du voisinage pussent dire que le général Marbot adhérait aux projets du général Bonaparte, car cet homme habile ne négligeait aucun moyen pour parvenir à ses fins 6 ».
Ainsi, avant même que son retour soit connu à Paris, Bonaparte suscite l'enthousiasme des foules venues se presser sur son passage.
Le phénomène est essentiellement citadin et peut-être à l'engouea ment pour le général Bonaparte s'ajoute-t-il un certain attrait pour les hommes qu'il a ramenés d'Égypte. Quoi qu'il en soit, la réaction de la population n'est pas indifférente. Lavalette décrit la marche de Fréjus à Lyon comme un triomphe, ajoutant que son arrivée à Lyon était « désirée avec un emportement difficile à peindre 7 ». Le fils du général Marbot qui arrive dans l'autre sens, comme on l'a vu, dépeint également les cris d'allégresse qui entourent le cortège de Bonaparte. Cet accueil surprend même l'un de ses aides de camp :
« Cette ville était restée par la haine contre le gouvernement, et nous supposions que le général en chef ne voudrait pas y rester 8. »
Mais, précisément, sans doute les Lyonnais voient-ils dans Bonaparte l'homme qui pourra mettre un terme à la République. Il n'est pas certain qu'en terre républicaine, l'accueil eût été le même. Lavalette rapporte du reste que Bonaparte prit bien soin d'éviter Mâcon
« où le club des Républicains avait irrité les classes moyennes aristocratiques ». Bonaparte se détourne de la Bourgogne et passe par le Bourbonnais.
La nouvelle de son débarquement précède de quelques jours son arrivée à Paris. Elle y est connue le 13 octobre, alors qu'il est à Lyon. Paris bruit encore de l'annonce de la victoire d'Aboukir, parvenue le 4 octobre. C'est donc un général victorieux qui s'avance vers la capitale, ce qui renforce naturellement l'enthousiasme des foules, à Paris comme en province. Thibaudeau, un des mémorialistes les plus perspicaces de son temps, ancien membre de la Convention et bientôt préfet de Bonaparte, assiste alors à une représentation au Théâtre-Français et décrit la salle applaudissant la nouvelle de son débarquement, ce qui en dit long sur l'attente des esprits et aussi sur la préparation qui a entouré l'événement. Face au retour en France de Bonaparte, le Directoire reste désemparé.
Réunis le 14 octobre, les directeurs sont incapables de s'entendre sur l'attitude à adopter, alors que le général Bonaparte a, à plusieurs reprises, transgressé la légalité et que chacun peut entrevoir ses 34
LA RÉVOLUTION DU 18 BRUMAIRE
véritables intentions. Sie.yès lui-même marque d'abord quelque mécontentement devant la venue de ce bras armé qu'il aurait trouvé un peu long à son goût. Pourtant, Bonaparte n'a guère été prolixe
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