Histoire du Consulat et de l'Empire
date. Bonaparte était au courant des projets de Sieyès depuis son arrivée à Paris.
Surtout, il avait multiplié les contacts avec des hommes politiques partageant sa volonté révisionniste. Parmi eux figure Talleyrand, ancien ministre des Relations extérieures. C'est une vieille connaissance de Bonaparte, puisque tous deux avaient collaboré, non sans quelque friction, à la signature de la paix de Campoformio, en 1797, avant que Talleyrand n'appuie le projet égyptien de Bonaparte. Les deux hommes se sont donc retrouvés à Paris ; ils se voient fréquemment, �oit au domicile de Bonaparte, rue Victoire, soit chez Talleyrand. A leurs côtés, Roederer joue également un rôle décisif dans la préparation du complot. Ancien conseiller au parlement de Metz, élu député à l'Assemblée constituante en octobre 1789, Roederer partage dès cette époque les idées de Sieyès. C'est chez Talleyrand que Roederer a rencontré Bonaparte pour la première fois, en mars 1798, donc avant l'expédition d'Egypte. Les deux hommes s'emploient activement à rapprocher Bonaparte de Sieyès, multipliant les visites au Luxembourg, siège du Directoire, dans les derniers jours d'octobre. Parmi ses plus proches soutiens, Bonaparte peut aussi compter sur Regnaud de Saint-Jean-d'Angély et Boulay de la Meurthe. Le premier, ancien membre de l'Assemblée constituante, 36
LA RÉVOLUTION DU 18 BRUMAIRE
i!1quiété au temps de la Terreur, a accompagné Bonaparte en Egypte. Le second, avocat avant la Révolution, puis juge au tribunal de Nancy, volontaire à Valmy, est député au Conseil des Cinq-Cents.
On ne saurait omettre dans ce petit groupe des fidèles de Bonaparte ses deux frères, Joseph et Lucien, acquis à des degrés divers à sa cause. L'un et l'autre sont alors députés au Conseil des Cinq-Cents �t occupent donc une position stratégique au sein de l'appareil d'Etat. Joseph, l'aîné, n'a jamais cessé de suivre la carrière de son frère. Il reste son principal confident pendant la campagne d'Égypte. Bonaparte demande ainsi à Joseph, dans une lettre du 28 juillet 1798, de lui préparer une campagne en France pour son retour qu'il envisageait plus prompt qu'il ne fut. Et Bonaparte, s'épanchant sur l'ennui de la nature humaine, lançant un pathétique et peut-être sincère cri de désespoir : « La gloire est fade à vingtneuf ans ; j 'ai tout épuisé », concluait sa lettre par ces mots :
« Adieu, mon unique ami ; je n'ai jamais été injuste envers toi 11. »
Lucien, de six ans plus jeune que Napoléon, ne l'a guère connu dans sa jeunesse. Il a construit lui-même sa carrière, devenant député de Corse à vingt-trois ans, c'est-à-dire sans avoir l'âge requis. Il espère pouvoir seul parvenir au faîte des honneurs et n'attend pas le retour de son frère pour entrer dans le complot mis sur pied par Sieyès.
« La première quinzaine de vendémiaire, signalée par tant de prospérités, vit aussi mûrir le plan de notre réforme républicaine 12 », raconte Lucien dans ses Mémoires sur le 18-Brumaire, en évoquant les nombreux conciliabules tenus chez Sieyès. Son enthousiasme n'est pas débordant, à l'annonce du retour de son frère : « J'avoue que je ne fus pas moi-même exempt d'inquiétudes ; mais ces inquiétudes chez moi n'étaient pas spontanées ; elles tenaient plutôt aux craintes de mes amis. Presque toujours éloigné de mon frère par les événements, je le connaissais peu. Quoiqu'il n'eût que six ans de plus que moi, il n'y avait jamais eu entre nous d'intimité d'enfance ni de jeunesse, parce que nous avions presque toujours été séparés.
Cette intimité, que j 'ai souvent regrettée, fut réservée tout entière à notre frère Joseph 13. »
Néanmoins, Lucien comprend vite l'intérêt que peut représenter son frère pour la réussite du complot mis au point par Sieyès. Il le tient informé des projets du directeur, puis organise chez lui le premier tête-à-tête entre les deux hommes, le 1er novembre. Dans l'intervalle, il a été élu président du Conseil des Cinq-Cents, le 23 octobre, renforçant ainsi le parti des révisionnistes. Cette élection marquait aussi que, même aux Cinq-Cents, les jacobins étaient minoritaires, ce qui représentait un encouragement à poursuivre le complot. Lucien apporte donc à Napoléon sa science de l'intrigue. Il l'assure aussi du soutien de l'exécutif au Conseil des Cinq-Cents. Le rôle de Joseph est plus effacé, sans être
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