Histoire du Consulat et de l'Empire
marque la fin de l'autonomie de cette assemblée, d'autant que, dans le même temps, le Premier consul s'attribue le choix de son président, certes sur une liste de cinq noms, mais sans obligation de respecter l'ordre de présentation. Le Corps législatif perd ainsi une de ses dernières prérogatives. Bonaparte ne se prive pas en effet de faire valoir ses nouveaux droits. Alors que les députés avaient présenté, dans l'ordre, Toulangeau, Latour-Maubourg, Duranteau, Viennot-Maublanc et Fontanes, Bonaparte choisit ce dernier, en janvier 1804, pour présider le Corps législatif. Cet ami de Chateaubriand, mais aussi de Lucien Bonaparte, incarne alors le courant néomonarchiste au sein du régime. Sa désignation prépare donc le passage vers un régime héréditaire que Fontanes appelait de ses vœux dès 1800 lorsqu'il contribuait à la rédaction du Parallèle entre César, Cromwell, Monk et Bonaparte. Lors de sa prise de possession de la présidence du Corps législatif, Fontanes se veut prophétique : « Il est permis de tout oser à celui qui put tout prévoir », dit-il à l'adresse de Bonaparte. Son attachement au Premier consul ne va pas jusqu'à l'approbation de l'exécution du duc d'Enghien. En mars 1804, alors que s'achève la dernière session du Corps législatif du temps du Consulat, Fontanes refuse d'approuver dans son discours cette exécution et fait rectifier le compte rendu du Moniteur où le discours évoquant « la sage uniformité de vos lois » avait été modifié par « la sage uniformité de vos mesures ». Fontanes avait voulu s'en tenir à l'éloge du seul domaine qu'il dirigeait, refusant par là même de cautionner les actes arbitraires du Premier consul. Signe des temps, la réprobation se dissimule sous le silence des mots.
Le Tribunat défait et le Corps législatif sous la coupe du Premier consul, c'est au Sénat que se manifestent encore quelques traces de vie politique. Les nouvelles dispositions concernant son recrutement permettent désormais à Bonaparte d'y faire entrer des membres qu'il a choisis. Après Fouché, Abrial et Roederer, il nomme le général d'Abosville, qui avait fait partie du corps expéditionnaire fran
çais au cours de la guerre d'Indépendance américaine, et le cardinal de Belloy, archevêque de Paris et doyen de l'épiscopat. À côté des législateurs, juristes, financiers, savants et militaires, le haut clergé fait ainsi son entrée au Sénat, confirmant le souci de Bonaparte d'en faire une assemblée représentative des grands intérêts du pays. Les autres choix, effectués par les sénateurs eux-mêmes, furent également agréables au Premier consul qui surveillait de près l'élaboration des listes de trois noms qu'il soumettait au Sénat. Néanmoins, le caractère inamovible des sénateurs rendait plus difficile une adhésion complète au régime. Un noyau d'opposants continuait de 132
LE CONSULAT À VIE
se réunir, notamment chez Lenoir-Laroche. Parmi ces sénateurs réticents à l'égard de la toute-puissance du Premier consul figurent toujours Sieyès, les Idéologues Destutt de Tracy, Garat et Cabanis, ou encore l'abbé Grégoire, le général Kellermann voire Fouché qui ne se prive pas de jouer de son influence au sein de cette assemblée.
Cette opposition reste cependant très feutrée à partir de 1802. Le Sénat se montre docile, dès les lendemains de la Constitution de l'an X, en approuvant, avec parfois quelques modifications de forme, les sénatusconsultes présentés par Bonaparte. Pour prix de leur soutien, les sénateurs obtiennent du reste une gratification supplémentaire, sous la forme des sénatoreries. Elles correspondent à une dotation globale de cinq millions de francs, constituée de forêts domaniales et de biens nationaux non aliénés. Cette dotation fut divisée en vingthuit sénatoreries, à savoir une par ressort de cour d'appel. Les titulaires des sénatoreries recevaient un revenu supplémentaire d'environ vingt à vingtcinq mille francs par an mais devaient en contrepartie séjourner trois mois par an, dans le ressort de leurs sénatoreries où ils devaient entretenir une maison.
L'objectif du Premier consul est double ; il cherche certes à s'assurer le soutien indéfectible du Sénat par cette nouvelle attribution de revenus. Il entend aussi donner davantage de lustre à cette assemblée en élevant les sénateurs audessus des autres citoyens et en leur offrant une assise terrienne. Le nouveau
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