Histoire du Consulat et de l'Empire
Savary, il est exécuté dans les fossés du château de Vincennes.
L'opinion ne s'émeut guère de cette exécution qui atteint davantage l'ancienne noblesse, ralliée au régime. Chateaubriand date de 141
LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE (1799-1804)
ce moment son détachement à l'égard du régime. La comtesse de Boigne évoque aussi l'effet de cette exécution : « Partout, dans toutes les classes et principalement parmi les gens attachés au gouvernement, je l'ai trouvée une plaie encore toute saignante à mon retour en France 8. » Le jeune Rémusat, dont les parents appartiennent à la Maison du Premier consul, s'en fait l'écho : « La chose était trop grave pour qu'on m'admît à la connaître. Tout naturellement on fit dans la maison ce qu'on aurait fait par système ; on se tut », raconte-t-il dans ses Mémoires 9. Les divers Souvenirs rédigés a posteriori sur l'affaire se ressentent cependant de l'écho renouvelé du crime à l'époque de la Restauration. Pour l'heure, Bonaparte ne perd pas le soutien de la noblesse, par ailleurs satisfaite par la grâce accordée aux conjurés nobles du complot de Cadoudal. En revanche, il rassure les milieux républicains par cette exécution qui renvoie à la mort de Louis XVI. Elle lui est un moyen d'affirmer la constance de ses principes révolutionnaires. Il signifie par ce geste son souci de ne pas restaurer l'Ancien Régime. De ce fait, il réconforte les détenteurs de biens nationaux, et plus généralement la bourgeoisie, mais aussi la paysannerie toujours méfiante à l'égard d'un éventuel rétablissement des droits féodaux et de la dîme. La société française est désormais prête à accepter la transformation du Consulat en régime héréditaire. De ce point de vue, la conjuration de l'an XII ouvre la voie à l'Empire.
Deuxième partie
La naissance d'une monarchie
(1804-1809)
1
L'année du sacre
Pour beaucoup d'observateurs, le sacre de Napoléon à Notre
Dame marque l'avènement d'un nouveau régime et l'entrée de la France dans une nouvelle monarchie. En réalité, l'Empire ne naît pas le 2 décembre 1804, avec le sacre, mais bien le 18 mai, lorsque le Sénat adopte un sénatusconsulte modifiant la Constitution de l'an X. Le pays se dote alors d'institutions monarchiques. Mais c'est le sacre qui symbolise l'avènement de l'Empire, au point que le 2 décembre s'identifie désormais à la geste napoléonienne.
1. LA PROCLAMATION DE L'EMPIRE
Le complot fomenté par les royalistes contre Bonaparte à l'automne de 1803 avait suscité une vive réaction dans l'opinion, au moins le gouvernement voulut-il le laisser croire. L'exécution du duc d'Enghien ne suffisait pas à faire taire les craintes du régime en place. Il lui fallait assurer sa sécurité et pour cela obtenir l'hérédité, gage de stabilité. Certes, Bonaparte n'avait pas encore de fils mais, depuis peu, il avait un neveu, Napoléon-Charles Bonaparte, né en 1802 du mariage de Louis Bonaparte et Hortense de Beauharnais.
La dynastie des Bonaparte était donc établie. Comme en 1802, lorsqu'il s'était agi de confier à Bonaparte le consulat à vie, le Sénat est invité à formuler le vœu que le pouvoir du Premier consul se prolonge dans ses héritiers. L'occasion est fournie par la présentation au Sénat des preuves de l'implication anglaise dans la conspiration de Cadoudal. Les sénateurs envisagent d'abord d'adresser un simple message à Bonaparte pour le féliciter d'avoir déjoué le complot.
Fouché, actif dans la gestion de la crise, trouve là l'occasion de manifester son zèle envers le maître du pouvoir. De son fauteuil de sénateur où le guette l'inactivité, il demande à ses collègues 145
LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)
d'envoyer à Bonaparte un message dans lequel serait réclamée l'instauration « des institutions qui détruisissent l'espérance des conspirateurs en assurant l'existence du gouvernement au-delà de la vie de son chef ». On ne pouvait mieux instiller l'idée d'hérédité dans les esprits. En deux ans, Fouché est donc passé de l'opposition au consulat à vie à l'approbation de l'Empire. En 1802, il craignait que le nouveau régime n'ouvrît la porte au retour de la monarchie et ne menaçât les anciens révolutionnaires. En 1804, rassuré par l'exécution du duc d'Enghien qui scelle à ses yeux la rupture définitive entre Bonaparte et les Bourbons, il se dit prêt à soutenir un régime héréditaire qui
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