Histoire du Consulat et de l'Empire
gouvernement impérial, mais en martelant avec insistance son souhait de voir respecter les libertés fondamentales : « Il faut que la liberté et l'égalité soient sacrées ; que le pacte social ne puisse pas être violé, que la souveraineté du peuple ne soit jamais méconnue et que, dans les temps les plus reculés, la Nation ne soit jamais forcée de ressaisir la puissance et de venger Sa Majesté outragée. » Certes, les sénateurs pensent à l'éventualité d'un héritier indélicat, mais l'avertissement vaut aussi pour le temps présent ; il est une invitation à respecter les libertés et un rappel de la nature du pouvoir impérial ; celui-ci émane du peuple. Et pour mieux remplir encore son rôle de gardien des lois, le Sénat adjoint à son message un mémoire où sont revendiquées la liberté individuelle, la liberté de la presse et la liberté des élections, mais aussi la responsabilité des ministres et l'inviolabilité des lois constitutionnelles dont le Sénat resterait le garant. Autrement dit, les sénateurs ne demandent rien de moins à Bonaparte que de se placer à la tête d'une monarchie constitutionnelle, bâtie sur le modèle anglais. Ce n'était guère dans l'esprit du Premier consul qui s'empresse de jeter aux oubliettes le projet des sénateurs et d'en interdire la publication, après avoir dénoncé devant le Conseil 147
LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)
d'État « des réminiscences de la Constitution anglaise ». Il mesure aussi le danger que peuvent représenter les sénateurs : « Quelque jour, déclare-t-il, le Sénat profitera de la faiblesse de mes successeurs pour s'emparer du gouvernement. » Propos prémonitoire quand on connaît le jeu des sénateurs en 1814, mais, en 1804, le Sénat reste docile.
Le principe de l'hérédité admis, restait à modifier la Constitution, ce qui est fait au début du mois de mai, au sein du Conseil d'État et après que le conseil privé a été consulté. Le projet est ensuite soumis au Sénat qui l'examine du 16 au 18 mai, avant de l'adopter, sous la forme d'un sénatusconsulte qui devient la Constitution de l'an XII. Celle-ci devait régir le pays pendant dix ans. Sur bien des points, elle reprend les dispositions des constitutions antérieures, mais, contrairement à 1802, le gouvernement a choisi d'en faire un compendium de toutes les mesures constitutionnelles, ce qui donne un texte long, composé de cent quarante-trois articles répartis en quatorze titres. Le temps où l'on réclamait une Constitution
« courte et obscure » est révolu. Pourtant l'essentiel demeure dans les premières lignes du texte : « Le gouvernement de la République est confié à un Empereur qui prend le titre d'empereur des Français. » Par ces mots, la forme républicaine du pouvoir est provisoirement sauvée, en même temps qu'est une nouvelle fois reconnu le principe de la souveraineté populaire : Napoléon est empereur des Français comme Louis XVI était devenu roi des Français, en 1791, alors que Louis XVIII et Charles X seront de nouveau rois de France.
L'Empire est transmissible à l'intérieur de la famille Bonaparte :
« La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance », précise l'article 3. La reprise de la loi salique marque le souci d'enraciner le nouveau régime dans la tradition monarchique française. L'exclusion des femmes du pouvoir, comme de la régence éventuelle, correspond aussi à un principe déjà formulé dans le Code civil qui fait de la femme un être mineur. En l'absence d'héritiers directs, naturels ou adoptés, l'Empire reviendrait au frère aîné de Napoléon, Joseph, ou à Louis, son frère cadet. En cas de défaillance de l'une de ces deux branches, le Sénat retrouverait le pouvoir de désigner l'empereur. Napoléon a donc exclu de la succession ses frères Lucien et Jérôme, tous deux mariés sans son consentement, et jugés indignes de poursuivre la dynastie napoléonienne.
La famille impériale accède de ce fait à un rang particulier ; elle sort du cadre traditionnel de la société pour obtenir un statut privilégié qui s'accompagne aussi de contraintes. Les membres de la famille impériale prennent le nom de princes français et entrent de droit au Sénat et au Conseil d'État dès l'âge de dix-huit ans ; en retour,
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