Histoire du Consulat et de l'Empire
particulier les généraux, à la raison.
En 1804 les préventions contre ce passage par un lieu de culte ne sont pas éteintes. Napoléon veut donner plus de faste encore à la cérémonie en y associant le pape. Portalis, qui n'a pas encore été nommé ministre des Cultes, souffle cette idée à l'Empereur, prétextant à tort que les papes sacrent toujours les fondateurs des nouvelles dynasties. Ce fut vrai de Charlemagne, et surtout de Pépin le Bref, sacré par le pape à Saint-Denis, mais ni de Clovis ni de Hugues Capet. La décision est prise en mai 1804. Une négociation s'engage à Rome. Elle est conduite par le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, alors ambassadeur auprès du Saint-Siège, et par le cardinal Consalvi, secrétaire d'État du pape. Pie VII accepte de se rendre à Paris. Il espère en effet obtenir en échange la révision des Articles organiques adjoints au Concordat en 1802, ge même que le règlement de la question des évêques issus de l'Eglise constitutionnelle qui ont refusé d'abjurer leur serment. Il n'obtiendra rien de tel.
Charlemagne était allé à Rome. Napoléon fait venir Pie VII à Paris, 157
LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)
affirmant par cette inversion la victoire du gallicanisme d'État sur la papauté. Il s'inscrit ainsi dans la lignée de Louis XlV. Pie VII quitte Rome le 2 novembre, trop tard pour que la cérémonie du sacre ait lieu, comme initialement prévu, le 18 brumaire. Napoléon souhaitait commémorer sa prise de pouvoir ; il n'en a pas l'occasion. C'est donc fortuitement, à cause du retard du pape - il n'arrive à Paris que le 28 novembre - que le 2 décembre entre dans l'histoire, comme date fétiche de la dynastie napoléonienne.
Du sacre, chacun garde en mémoire la scène proposée par David, peintre officiel du régime, invité à immortaliser l'événement. Le moment choisi par le peintre est celui où Napoléon pose la couronne sur la tête de Joséphine. David a restreint son champ de vision et concentré ses regards sur le chœur où sont disposés les protagonistes du sacre. L'ensemble du tableau met l'accent sur le luxe des habits et manifeste la grandeur de la cérémonie. Le peintre rejoint en cela les témoins de la scène, par exemple Jean-Baptiste Barrès, vélite de la Garde, qui assiste presque par hasard à la cérémonie : « Je pris une assez bonne place sans beaucoup de peine, parce qu'on pensa que j 'étais envoyé pour y faire faction. De là, je vis au moins les deux tiers de la cérémonie, tout ce que l'imagination la plus féconde peut imaginer de beau, de grandiose, de merveilleux. Il faut l'avoir vu pour s'en faire une idée 2. »
Pour parvenir à ce résultat, la cathédrale a été décorée, les murs ont été tendus de tapisseries, tandis que des gradins étaient installés pour permettre aux nombreux invités d'assister au mieux à la cérémonie. L'ordre des places est très précisément défini. Il correspond à la hiérarchie des fonctions dans l'appareil d'État. Les princes, princesses et hauts dignitaires de l'Empire sont en première place.
Les principaux acteurs de la geste napoléonienne sont en effet présents, même si manquent à la cérémonie la mère de Napoléon, et deux de ses frères en disgrâce, Lucien et Jérôme, absents pour avoir convolé sans l'accord de leur auguste frère. Joseph, l'aîné, est en revanche présent. Napoléon lui aurait murmuré en passant à sa hauteur : « Joseph, si notre père nous voyait. » De fait, le sacre est aussi une consécration familiale. Les trois sœurs de l'Empereur, Caroline, Élisa et Pauline, ont rechigné à soutenir la traîne de Joséphine, mais Napoléon voulait symboliser par ce geste l'union des deux familles.
L'impératrice est la première à s'avancer dans la cathédrale. Il est un peu plus de midi. Trois maréchaux, Sérurier, Murat et Moncey, portent les honneurs qui lui seront décernés. Le cortège de Napoléon est naturellement plus imposant. En tête, trois autres maréchaux, Kellermann, Pérignon et Lefebvre portent les honneurs de Charlemagne. Ils sont suivis de quatre dignitaires tenant en main les honneurs destinés à Napoléon : Bernadotte porte le collier impérial, Eugène de Beauharnais l'anneau, Berthier le globe et Talleyrand la corbeille du manteau. Napoléon s'avance alors en tunique, recouvert d'un immense manteau, constellé d'abeilles, que tiennent ses 158
L'ANNÉE DU SACRE
deux frères, Joseph et Louis,
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