Histoire du Consulat et de l'Empire
en province. Tels les empereurs antiques, Napoléon cherche à éblouir le peuple par la profusion des fêtes et l'exposition de luxe et de richesse. Amorcée par le sacre, cette période de fêtes s'achève véritablement avec l'organisation du carnaval et la remise au goût du jour de la fête du Bœuf gras, au cours de laquelle Napoléon apparaît au balcon des Tuileries pour saluer le cortège masqué. L'association du peuple au couronnement et aux manifestations qui le suivent marque le souci du régime d'enraciner le pouvoir impérial par le recours aux fêtes de souveraineté, c'est-à-dire des fêtes organisées pour marquer l'adhésion du peuple au régime.
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Les bases sociales du régime
La dictature imposée par Napoléon aurait-elle pu se maintenir si les diverses couches de la population l'avaient délaissée ? Assurément non. Le succès de l'Empire tient à l'acquiescement ou à la neutralité des principaux groupes de la société auxquels Napoléon a su donner suffisamment de gages pour qu'ils ne souhaitent pas un changement de régime.
1. LE SOUTIEN DU MONDE PAYSAN
« Que m'importe l'opinion des salons et des caillettes. Je ne l'écoute pas. Je n'en connais qu'une, c'est celle des gros paysans ; tout le reste n'est rien. » Dès 1801 , Bonaparte exprimait devant le Conseil d'État l'importance qu'il accordait aux « gros paysans », c'est-à-dire aux paysans propriétaires, qualifiés parfois de coqs de village, ceux-là mêmes qui sont à la tête des communautés villageoises et ont largement contribué à soutenir la révolution en 1789, avant d'en profiter en achetant une partie des biens nationaux délaissés par la bourgeoisie. Dans leur village, ils restent d'importants employeurs, notamment au temps des travaux agricoles ; ils donnent du travail aux paysans sans terre, ouvriers agricoles et brassiers qui sans eux devraient quitter leur village et partir pour la ville.
Les gros paysans, parfois qualifiés de fermiers ou de laboureurs, forment l'ossature de la communauté villageoise. C'est parmi eux que le préfet choisit d'abord les maires des petites communes rurales, avant de se tourner vers les anciens nobles. C'est donc sur eux que le pouvoir impérial entend fonder son emprise. Au-delà des paysans les plus riches, c'est la propriété paysanne dans son ensemble qui est exaltée par le régime. Elle est à ses yeux un gage de stabilité et une garantie de paix civile. On ne se rebelle pas, pen-162
LES BASES SOCIALES DU RÉGIME
sent les partisans de Napoléon, lorsque l'on a une terre à sauvegarder, qu'il s'agisse de dizaines d'hectares ou d'un petit lopin. C'est du reste l'une des raisons pour lesquelles le régime ne cesse pas la vente des biens nationaux. Certes, ce sont bien souvent de mauvaises terres qui sont alors mises sur le marché, mais elles permettent à des paysans passés à côté des bonnes affaires de l'époque révolutionnaire d'espérer accroître leur patrimoine foncier.
L'Empire favorise l'expansion de la petite propriété, car il sait de quel poids pèsent les paysans dans les campagnes et donc dans la société française.
Car la France de l'Empire est encore très largement rurale, sinon paysanne. Sur près de trente millions d'habitants vivant dans l'Hexagone, plus de vingtquatre millions habitent dans des communes de moins de cinq mille habitants, c'est-à-dire des villages ou des bourgs dont les activités sont essentiellement liées à l'agriculture. Parmi eux, dix-huit millions vivent directement du travail de la terre.
Certes, ce monde paysan est divers puisqu'il comprend, à côté des propriétaires-cultivateurs, une majorité de fermiers et métayers, locataires de la terre qu'ils cultivent, de brassiers et d'ouvriers agricoles, qui se louent à la journée ou à l'année dans des exploitations agricoles. Tous ces paysans vivent selon les mêmes rythmes et avec un égal souci de préserver et d'accroître le bien, fût-il minime, acquis en héritage. Ainsi, près de deux Français sur trois sont des paysans. C'est dire l'emprise de la terre sur la société française, à l'aube du XIX" siècle. L'agriculture est alors au cœur de la vie économique du pays, comme l'analyse bien Chaptal dans un ouvrage publié en 1819 sous le titre De ['Industrie française, et qui est en fait un bilan des années impériales. Le tableau qu'il dresse de l'agriculture est d'autant plus important qu'il a eu à s'occuper des questions agricoles,
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