Histoire du Consulat et de l'Empire
ainsi que ses deux anciens collègues consuls, Cambacérès et Lebrun. Les invités attendent dans la cathédrale depuis le début de la matinée. Le clergé est nombreux. La plupart des évêques ont accepté l'invitation du souverain ; ils se sont joints au chapitre de la cathédrale de Paris qui entend faire valoir ses prérogatives et signera le registre du sacre. Ils garnissent le chœur et ,entourent le pape et les cardinaux préposés à la cérémonie. Les Eglises protestantes sont également représentées. Le sacre est aussi l'occasion de réunir les représentants de l'État. Ministres, conseillers d'État, sénateurs, membres du Corps législatifs et tribuns côtoient les principaux magistrats du pays, mais aussi les préfets, sous-préfets, présidents de collèges électoraux de département, d'arrondissement et même de canton, venus spécialement à Paris pour la cérémonie. Le sacre est l'occasion d'un vaste déplacement des fonctionnaires des provinces vers Paris. S'y sont joints également des délégués des colonies. Avant comme après la cérémonie, bien des réunions se tiennent entre ces représentants de l'État et leur ministre de tutelle. En revanche, la part des militaires est plus faible ; l'armée est essentiellement représentée par les généraux commandant des divisions territoriales. Enfin, les pays étrangers ont délégué leurs ambassadeurs à la cérémonie.
De prime abord, le sacre de Napoléon imite le sacre des anciens rois. En réalité, bien des points du cérémonial changent, ce qui dénature la portée du geste. Le sacre est une cérémonie civile avec un habillage religieux. Certes, la nature du sacre ne peut être niée : le lieu, une cathédrale, le concours d'un vaste clergé, le rôle assigné au pape, sont autant d'éléments qui plaident en faveur d'une pleine association du trône et de l'autel. L'Empereur a reçu du pape la triple onction, sur la tête et les mains, avant le début de la messe.
Au cours de celle-ci, les ornements impériaux ont été bénis, puis transmis par le pape à l'Empereur, dans l'ordre suivant : l'anneau, l'épée, le manteau, le globe, la main de justice et le sceptre. Alors,
« l'Empereur, portant dans ses mains ces deux derniers ornements, a fait sa prière », tandis que le pape remettait ses ornements à l'impératrice. Puis vient le moment de l'autocouronnement rapporté en ces termes par le procès-verbal de la cérémonie : « Ensuite l'Empereur a remis la main de justice à l'Archichancelier, et le sceptre à l'Architrésorier, est monté à l'autel, a pris la couronne et l'a placée sur sa tête ; il a pris dans ses mains celle de l'Impératrice, est revenu se mettre auprès d'elle, et l'a couronnée. » Ce geste n'est pas spontané ; il était prévu dans le cérémonial et avait été accepté par le pape. Sa signification n'en est pas moins grande : Napoléon refuse de tenir son pouvoir souverain, symbolisé par la couronne, des mains du pape, c'est-à-dire de Dieu. Il rappelle de la sorte son attachement au principe de la souveraineté nationale, et refuse toute idée d'une sujétion du pouvoir temporel vis-à-vis de l'Église. Ce geste rejoint la retenue de l'Empereur qui a gommé du cérémonial 159
LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)
traditionnel du sacre toute trace d'assujettissement ; il refuse ainsi la cérémonie de la dévêture, à l'issue de laquelle le souverain se prosternait au pied de l'autel. Seuls quelques agenouillements sont conservés, mais les périodes de prière paraissent très formelles. Pendant l'Oremus, au début de la cérémonie, « l'Empereur et l'Impératrice ont fait un instant leur prière sur leur prie-Dieu, et se sont levés ». Surtout, Napoléon refuse de participer à l'Eucharistie, après avoir renoncé à se confesser. Aux yeux des catholiques, il n'est donc pas en état de recevoir un quelconque sacrement. À la fin de la messe, le pape se retire dans la sacristie pour ne pas assister à la prestation de serment de Napoléon, serment dans lequel est rappelée sa promesse de protéger la liberté religieuse. Mais le pape n'avait pas eu scrupule à accueillir dans la cathédrale les présidents des consistoires protestants présents à ce titre au sacre de l'Empereur. Aux trois moments cruciaux de la cérémonie, Napoléon marque donc sa distance à l'égard du pouvoir spirituel. Il entend signifier par là que le pape reconnaît son pouvoir à l'égal de celui des
Weitere Kostenlose Bücher