Histoire du Japon
de noter que le passage qui recommande la simplicité de tenue et condamne la parade est cité par la suite comme une maxime classique sur la sobriété. L’un des exemples les plus connus en est donné par un recueil du XIVe siècle, le Tsurezure gusa, où l’auteur, soulignant l’importance d’une vie simple et sobre, déclare : « Dans les admonestations de Kujôden à ses descendants, il est écrit qu’ils ne doivent rechercher ni l’élégance ni la magnificence. »
Le goût de ce qui est simple et pur se manifeste dans maintes formes d’expression artistique, et dans des endroits parfois surprenants. Le Roman de Genji n’est pas à première vue une source où l’historien des mœurs devrait trouver la description d’austères plaisirs et de sobres habitudes, puisqu’il traite avant tout des amours d’un jeune prince et de leurs multiples conséquences. Mais il est riche en commentaires sagaces sur les affaires humaines en général, et contient différents passages qui mettent en lumière les questions de style, de chic, telles qu’on les voyait à l’époque de Heian. L’un d’eux, le « Shina-sadame » (« Jugement de qualité >), relate une discussion entre les amis de Genji sur leur idéal féminin. Le débat se déroule entre quatre jeunes nobles, dans les quartiers qu’ils occupent au palais royal en tant qu’officiers de la garde. S’ils admettent qu’il y a trois catégories de femmes, supérieure, moyenne et inférieure, ils ont du mal à décider si leur qualité essentielle réside dans la naissance, la beauté ou le caractère. Uma no Kami, officier de la garde montée décrit comme « grand amant et beau parleur », conclut qu’il en est des femmes comme du travail des artisans, dont certains s’appliquent à suivre la mode, tandis que d’autres, en artistes discrets, s’efforcent de rendre beaux des objets usuels sans s’éloigner des formes que dicte la tradition.
Il est typique de la tournure d’esprit contemporaine de considérer les problèmes humains par analogie avec les beaux-arts. Uma no Kami parle de peintres consommés qui cherchent à étonner le spectateur par leur habileté et leur imagination tape à l’œil : « Cependant, poursuit-il, les montagnes et cours d’eau familiers simplement comme ils sont, les maisons qu’on peut voir n’importe où dans toute leur authentique beauté et toute l’harmonie de leurs formes – ne dessiner que des scènes de ce genre […] et avec tout le soin requis de composition et de proportion –, de telles œuvres exigent le talent suprême d’un grand maître. »
Ces propos ne sont pas de ceux qu’on attend de la part de soldats, fussent-ils officiers, et ils montrent bien que (dans l’idée du moins de Murasaki) les jeunes gens à la mode se piquaient d’éviter ce qui est manifeste et grossier, et de rechercher ce qui est raffiné et délicat. Pas seulement d’ailleurs en matière de peinture et de calligraphie, car Uma no Kami continue :
« Ainsi en va-t-il dans ces domaines sans importance. El lorsqu’il s’agit de juger le cœur humain, combien plus encore faut-il se méfier des airs et des grâces à la mode, des artifices et de toute l’élégance apprise dans le seul but de plaire aux yeux d’autrui… Laissez-moi vous raconter une histoire. »
Et le volubile gentilhomme de se rapprocher de ses amis. Le prince Genji s’était assoupi. « Vêtu de soie blanche, un grossier manteau négligemment jeté sur les épaules […] dans la lumière de la lampe il était si charmant qu’on eût pu désirer que ce fût une fille. To no Chûjô [capitaine de la garde et beau-frère de Genji] était assis la joue contre sa main. Genji se réveilla. Ce soir-là, le discours d’Uma no Kami ressemblait fort au sermon d’un prédicateur sur les manières du monde, et il était un peu absurde. " Elle s’est passée quand j’étais jeune, poursuivit-il. J’étais amoureux d’une jeune fille… " »
Et la conversation continue ainsi toute la nuit. Il s’agit là d’une scène intime, révélée comme en un éclair, évoquée et illuminée par la vision de Murasaki. C’est une scène imaginaire, mais qui aide à comprendre la nature de la vie de Heian, du moins dans le milieu aristocratique et dans le domaine qui intéresse l’histoire du goût.
Ce qui, dans ces souvenirs, est particulièrement intéressant, c’est que, loin de se vanter de leurs conquêtes, les jeunes galants qui les
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