Histoire du Japon
longs, comme on les voit sur les rouleaux d’alors. D’ordinaire, elles ne les coupaient pas et les portaient simplement séparés par une raie ; chez une belle femme, il était normal qu’ils tombassent jusqu’à terre.
Si l’on aimait les dents noircies, il fallait que le teint fût pâle, l’idéal étant pour une jeune fille d’avoir la peau « blanche comme le duvet sur le ventre d’un oison sauvage », et de plus, suavement parfumée. Que cette blancheur de teint fût nuancée de rose était très apprécié, et l’on se maquillait en conséquence. Les hommes aussi usaient de cosmétiques, et même les soldats de la garde se poudraient le visage ; la poudre, qui parfois s’en allait lors des marches, laissait alors voir leur peau sombre « comme le sol où la neige a fondu ». Concernant les critères de beauté féminine, la chose peut-être la plus surprenante est que les dames de la cour étaient horrifiées par la nudité, que l’art japonais ne représente d’ailleurs que rarement. La poésie elle-même n’a pas grand-chose à dire des charmes féminins, qu’il s’agisse du visage ou du corps, et même dans les passages les plus tendres du Roman de Genji, il est rare de trouver rien de plus suggestif qu’une expression du genre « utilisant ses membres avec une grâce subtile ».
Si certains passages du Roman de Genji témoignent de telles particularités de la société de l’époque, l’œuvre dans son ensemble est un superbe exemple du goût contemporain. Ce n’est certes pas le lieu d’une critique littéraire, mais il n’est pas étranger à notre sujet – la qualité esthétique de la vie de Heian – de signaler certaines de ses beautés particulières.
Dans le chapitre intitulé « Hotaru » (« la luciole ») se trouve un passage bien connu où l’auteur place ses opinions sur le roman dans la bouche de Genji, qui déclare : « Des livres d’histoire tels que les Chroniques du Japon ne montrent qu’un petit coin de la vie, alors que ces journaux intimes et romans contiennent, j’en suis sûr, l’information la plus précise sur les affaires privées de toutes sortes de gens […] Mais j’ai une théorie de mon cru sur cet art du roman et la façon dont il est apparu. D’abord, il ne réside pas simplement dans le récit que fait l’auteur des aventures de quelque autre personne. Au contraire, il naît parce que l’expérience, bonne ou mauvaise, qu’a le narrateur des hommes et des choses – pas seulement ce par quoi lui-même est passé mais également ce dont il n’a été que le témoin ou même qu’on lui a rapporté – suscite en lui une émotion si passionnée qu’il ne peut la garder plus longtemps enfermée dans son cœur […]. Ne décrire que ce qui est bon et beau n’appartient manifestement pas à l’art du conteur. Il arrive que la vertu soit son sujet, mais il peut tout aussi bien avoir été frappé par les nombreux exemples de vice et de folie qu’il voit autour de lui, et il éprouve à leur propos tout à fait les mêmes sentiments qu’à propos des meilleures actions auxquelles il assiste. Ils sont importants et doivent être engrangés. »
Tout cela confirme l’impression que la plupart des incidents relatés par Murasaki ont une solide base de vérité, et il est certain qu’elle voyait son œuvre comme une forme de fiction sérieuse, une version travaillée de son expérience, non une invention légère et frivole. Maints de ses personnages sont des personnages historiques qu’elle a connus durant ses longues années de service à la cour. Parmi eux, les empereurs Shujaku et Ryôzen (Reizei), les princesses vestales, les nobles Fujiwara (elle-même faisait partie du clan), les grands officiers de l’État, et des courtisans de moindre importance. On considère que le moine Yogawa, décrit dans le chapitre intitulé « Tenarai », fut inspiré par le grand maître bouddhiste Eshin, qui fut l’un des chefs du culte d’Amida et écrivit les Règles du salut (Öjö yöshüje n 985. Korechika d’abord, mais également Michinaga, servirent enfin de modèles à Genji lui-même. Les descriptions qui animent la première partie du roman suggèrent une vie de cour pleine de gaieté, alors qu’à travers le désenchantement des derniers chapitres s’exprime le désir d’échapper au monde des apparences. Ce changement d’atmosphère reflète assurément la réalité de l’époque, car bien des documents attestent
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