Histoire du Japon
ponctué de considérations sur les couleurs, les formes et les parfums, et d’un continuel échange de messages poétiques. La calligraphie est source d’émotions presque autant que la voix. Quand Murasaki, la jeune femme de Genji, voit la seule adresse d’une lettre qu’une autre femme lui a écrite, elle reconnaît qu’il s’agit d’« une écriture parfaite, que la plus grande dame du pays n’aurait nulle raison de désavouer ». Dès lors, elle sait à quoi elle doit s’attendre. Cette fois-ci, il ne peut pas s’agir que d’une flamme passagère ! L’écriture, telle qu’on la comprenait alors, révélait (ou plutôt exprimait) le caractère, l’éducation, la distinction et autres qualités plus clairement encore que la parole, et constituait un art parmi les plus élevés.
Bien que la vie du palais puisse apparaître comme une vaine succession de cérémonies et de divertissements, il serait injuste de qualifier la cour de corrompue et dissolue. Il serait plus exact de dire que la noblesse menait une vie raffinée, mais loin d’être luxueuse, dans un cadre négligé et inconfortable. En fait, les souverains et leurs courtisans consacraient l’essentiel de leurs loisirs à des passe-temps très simples et innocents. C’est le cas du charmant concert décrit par un autre écrivain de talent, la dame d’honneur Sei Shônagon, et qui, selon la narratrice, eut lieu un jour de printemps de l’an mille. « Le soleil brillait splendidement dans un ciel calme et pur. L’empereur jouait de la flûte dans une pièce proche de la Galerie occidentale. Le gouverneur adjoint du Kyüshü, Fujiwara Takatô, qui était un flûtiste habile, était à son côté. Ils jouèrent plusieurs fois l’air de Kakasago, et leur musique avait un charme que de simples mots ne peuvent exprimer. Takatô, posant au professeur de flûte, montrait à Sa Majesté comment elle devait jouer. Les autres dames d’honneur et moi nous pressions en foule contre le rideau, et tandis que nous les regardions, il me semblait que je n’avais jamais cueilli de persil [que je n’avais jamais eu d’ennuis]. Tous mes soucis s’étaient évanouis. »
Elle poursuit en parlant d’un certain Suketada, chambellan arriviste que les dames de la cour n’aimaient pas et surnommaient « Le Violent Crocodile ». On fit à son sujet une chanson plutôt méchante, et l’empereur joua l’air sur sa flûte, mais très, très doucement, de manière que Suketada ne puisse pas entendre. Puis Sa Majesté sortit pour consulter l’impératrice, et revint en disant : « Tout va bien. Il n’est pas là. » Et de reprendre sa flûte. « Que tout cela était beau ! »
Si les loisirs des dames de l’impératrice Sadako se passaient en frivolités et plaisirs enfantins, dans les appartements de l’impératrice Akiko, le service était une affaire sérieuse. La vie de ses dames était loin d’être dissipée, car elle avait sur le comportement des opinions très strictes, et estimait que le savoir était plus important que les fanfreluches et la coquetterie. Ses dames d’honneur étaient mal fagotées, et sans la moindre disposition à la folâtrerie. Sans doute les plus jeunes avaient-elles leurs moments de gaieté, mais de façon générale, leur éducation préparait les filles à vivre dans une société sévère, où il était indispensable de connaître la calligraphie, la musique et la poésie. A lire la littérature de l’époque, on a l’impression qu’à la cour on parlait plus souvent de la beauté des hommes que de celle des femmes ; mais peut-être cela tient-il au fait qu’on a essentiellement affaire à des ouvrages de femmes, auteurs de romans et de journaux intimes.
Cependant, même dans les journaux plus sérieux tenus par des hommes, on trouve des descriptions de cérémonies, de courses de chevaux, de tournois de tir et même de services religieux où la belle mine des hommes est soigneusement relevée, comme s’il s’agissait d’une question de première importance. Dans les descriptions de femmes, on ne dit pas grand-chose de leurs traits, peut-être parce que les dames de la cour étaient censées être cachées au regard d’s hommes par des paravents ou par des rideaux, et ne rien laisser voir de leur visage hormis les sourcils et les yeux au hasard d’un regard par-dessus l’éventail. Les femmes étaient pourtant très fières de leurs cheveux, qui devaient être d’un noir luisant, droits et très
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