Histoire du Japon
CHAPITRE PREMIER
La terre
Il y a quelques millions d’années, des plus grandes profondeurs connues de l’océan, de puissantes convulsions volcaniques projetèrent au-dessus du niveau de la mer l’archipel japonais, qui s’étend aujourd’hui en un arc, bandé au large de l’Asie, entre 30 et 45 degrés de latitude nord. Les pics les plus élevés du Japon s’élèvent à plus de 3000 mètres ; la fosse de Tuscarora, sur le flanc oriental des îles, descend à 10535 mètres au-dessous du niveau de la mer. Selon les géologues, une différence d’altitude aussi considérable sur une distance latérale aussi courte crée de telles tensions que cette partie de l’écorce terrestre est une région très instable, aux nombreux volcans et aux fréquents tremblements de terre.
Telles sont les conditions qui ont déterminé la forme des îles japonaises, la composition de leur sol et le comportement de leurs habitants – ce que nous appelons de façon imprécise le caractère national – dans la mesure où le comportement est la réponse d’un peuple à son environnement. La nature de cette réponse est aussi importante que la nature du défi ; mais on ne peut comprendre pleinement le cours de l’histoire japonaise sans quelque connaissance des particularités physiques du pays. Celles-ci doivent être étudiées de manière assez détaillée, mais il convient d’abord de placer le Japon dans le contexte qui est le sien en tant que région de l’Asie, à laquelle, malgré sa situation isolée, il appartient nettement par la géographie aussi bien que par la culture. Il s’agit de la vaste zone de mousson qui s’étend de la province maritime de Sibérie au nord à l’Inde au sud-ouest, et comprend les grandes régions productrices de riz du sud de la Chine, de l’Indochine, de l’Indonésie, du Siam, de la Birmanie et des îles Philippines.
Un des traits caractéristiques de cette zone, trait qui lui donne une certaine unité organique, est la régularité des vents saisonniers. En été, ils soufflent du sud depuis les mers tropicales, et occasionnent de fortes chutes de pluie sur la terre surchauffée. En hiver, ils soufflent des régions septentrionales de la masse asiatique, apportant des températures basses et, d’ordinaire, un temps sec et ensoleillé.
La sujétion à ce rythme constant engendre un caractère uniforme dans la vie économique des habitants de l’est et du sud-est de l’Asie. Il est vrai que, récemment, les relations avec les sociétés industrielles de l’Occident ont modifié les sociétés agricoles de l’Orient, mais fondamentalement celles-ci restent inchangées. Leur vie ne peut pas échapper à l’influence de ce régime climatique qui se répète année après année sur une immense échelle. L’alternance régulière des phases climatiques de la zone des moussons est particulièrement favorable à la culture du riz, et l’on trouve ainsi de grandes agglomérations de cultivateurs sédentaires dans ces régions où se combinent le sol alluvial le meilleur et l’alimentation en eau la plus sûre. Mais sauf dans des conditions très favorables, ils produisent à peine de quoi survivre. Ils sont les premiers producteurs. L’économie est essentiellement agraire, et il n’y a que peu d’industrie hormis ce que requiert la fabrication de vêtements, d’outils simples et d’objets usuels. L’économie étant à ce point agricole, la forme ordinaire de richesse est la terre, et la classe dirigeante vit des revenus du sol, sous forme de loyer ou d’impôts. Dans ces circonstances, les institutions politiques tendent au despotisme, car il est dans l’intérêt des dirigeants de prévenir le changement et de réprimer l’insubordination même dans ses formes les plus légères. Historiquement, la zone des moussons tout entière est donc conservatrice dans le domaine social et politique de même que sur le plan économique.
C’est peut-être en le comparant avec une région européenne typique, la Méditerranée, dont, à certains égards, la propre unité organique n’est pas différente de celle de la zone des moussons, que l’on parviendra le mieux à saisir cet aspect de la société asiatique. Le climat estival des pays méditerranéens est soumis au régime des vents du nord-est, qui, venus d’Eurasie, n’apportent que peu c humidité. En été, la chaleur est donc élevée, mais elle reste supportable à cause de la sécheresse de l’air. En
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