Histoire du Japon
d’inévitables anachronismes, car pour décrire même des choses purement japonaises, il leur fallait, par manque de vocabulaire adéquat, employer des termes chinois qui désignaient des choses chinoises. Le Nihon-shoki utilise par exemple l’expression « gouverneur provincial » à une époque où cette fonction n’existe pas encore, tout simplement parce que le japonais n’a pas de mot compréhensible pour désigner les grands seigneurs fonciers exerçant leur autorité sur leurs terres et leurs gens. L’influence chinoise est généralement perceptible d’un bout à l’autre des chroniques. Elle apparaît où on l’attend le moins, notamment dans des chants cités comme très anciens. Des lettrés japonais ont démontré que de nombreux poèmes du Kojiki comme du Nihon-shoki, bien qu’antérieurs aux récits dans lesquels ils sont intégrés, ont pour ainsi dire été polis et mis au goût du jour selon les exigences de la prosodie chinoise. C’est là un témoignage intéressant quant au prestige de la culture chinoise au vue siècle, mais aussi un avertissement que rien dans les chroniques ne peut être jugé à coup sûr comme purement japonais. Le sentiment qu’exprime la poésie paraît néanmoins l’être, et qu’on la trouve abondamment citée dans de secs récits officiels témoigne du goût des Japonais pour l’expression en vers. De ce point de vue, peut-être qu’un des poèmes les plus intéressants que renferme le Shoki est un duo d’amour entre le prince Magari et sa fiancée, la princesse Kasuga. C’est une espèce d’épithalame. On nous raconte quels doux propos échange le couple par une nuit de lune, jusqu’au moment où l’aube arrive et les surprend. Soudain, la grâce de ces propos s’incarne dans le discours du prince, qui éclate en un chant décrivant les fiançailles et dit :
Bras au bras mêlé, bras confondus Nous sommes doucement assoupis. C’est l’oiseau de la cour, Le coq qui coquerique. C’est l’oiseau de la lande, Le faisan qui appelle. J’ai d’abord épanché Complètement mon âme, Et l’aube est là, ô bien-aimée.
Puis la princesse répond, avec une abondance de métaphores et autres images, que si elle montait au sommet de la colline pour y proclamer la triste nouvelle du jour trop tôt levé,
Les poissons mêmes
Qui passent sous l’eau
Viendraient à la surface pour pleurer
Il n’est d’homme, quel qu’il soit, Qui ne se lèverait pour pleurer.
Après quoi la chronique poursuit son récit prosaïque et nous apprend que, quelques mois plus tard, la fiancée de cette nuit extatique annonce qu’elle est stérile et réclame un domaine pour que son nom ne s’éteigne pas.
LE MOUVEMENT DE RÉFORME , 645-701 : PREMIÈRES ÉTAPES
Après la défaite des Soga et l’accession au trône de l’empereur Kôtoku, en 645, le souverain et ses conseillers furent à même de poursuivre leurs projets de réforme sans plus avoir à craindre d’autres querelles de succession, et, ce qui était tout aussi important, forts des connaissances qu’ils avaient de la théorie et de la pratique chinoises en matière de gouvernement. Ils passèrent aux actes sans tarder, introduisant certaines mesures quelques jours à peine après le décès d’Iruka pour profiter de la grande autorité que leur conférait le succès.
Leur problème consistait à convaincre la grande et la petite noblesse terriennes (les Omi, les Muraji, les Miyatsuko, les Kunitsuko et autres propriétaires fonciers de moindre importance) de renoncer à leur autonomie pour devenir les serviteurs de la Couronne et les tenants, non les propriétaires, de leurs domaines. La formule nécessaire n’était pas difficile à trouver, car on pouvait citer de nombreux précédents chinois. Il était relativement aisé de proclamer qu’« un souverain ne peut tolérer deux gouvernements, ni un sujet servir deux maîtres ». Ce qui était difficile, c’était de persuader les grands propriétaires privés que, sous un nouveau gouvernement central, ils ne perdraient pas la substance de leur position héréditaire. C’était une question de terre et de main-d’œuvre, en sorte que, à moins de réduire de force les grands clans (solution dépassant les moyens du clan impérial), il fallait trouver une base d’allégeance que pût accepter la noblesse terrienne sans perdre possession de ses domaines ni autorité sur ses gens.
Ce problème avait été discuté et pesé par le prince
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