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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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pendant soixante ans, commence
à voir clair ; ce ne sont plus de grands mots, de belles
phrases qu’il veut entendre, il veut savoir la vérité.
    Personne ne regardait alors Pichegru, le
conquérant de la Hollande, comme un traître ; moi, je m’en
méfiais sans oser le dire ; mais la première fois que Sôme
s’assit à notre table, notre enfant sur ses genoux, il nous
expliqua les choses, en me regardant de côté, et je compris que
nous étions d’accord. Il finit par crier, comme les fédérés
parisiens en 92 :
    – O Marat ! véritable ami du pauvre
peuple, c’est par toi qu’ils ont commencé ; ton œil clair les
gênait, ils t’ont planté un couteau dans le cœur. Toi seul tu
voyais juste et de loin : les Dumouriez, les Custine, les
Lafayette, tu les avais tous devinés. Celui-ci tu l’aurais traîné
toi-même à la barre ; il n’aurait pas eu le temps de faire son
premier coup !
    Jamais je n’avais entendu mon vieux camarade
dire comme en ce jour ce qu’il pensait. Marguerite, Élof Collin,
Raphaël et d’autres patriotes qui se trouvaient là, parlaient de
Danton, de Robespierre, de Saint- Just ; mais lui, faisant
claquer son pouce d’un air de pitié, criait :
    – Bah ! bah ! Sans doute
c’étaient des bons… mais quoi, des enfants ; ils ont fini par
se disputer ! Marat les aurait mis d’accord, car il avait plus
de bon sens qu’eux tous ensemble.
    Sôme allait beaucoup trop loin, comme il
arrive toujours lorsque la colère vous emporte : son biscaïen
l’avait aigri !… Et puis, le pauvre vieux aimait Marat, comme
j’aimais Danton, et comme Élof Collin aimait Robespierre. C’est
notre défaut, à nous autres Français, de nous attacher aux hommes
plus qu’aux principes, et de leur croire tous les talents et toutes
les vertus, du moment qu’ils défendent nos idées : il nous
faut absolument des chefs ! Cette malheureuse faiblesse de
notre nation est cause des plus grands malheurs ; elle a
divisé les républicains, elle les a poussés à se détruire les uns
les autres, et finalement elle a perdu la République.
    Chauvel seul, de tous les patriotes que j’ai
connus en ce temps, mettait les principes bien au-dessus des
hommes ; il avait raison, car les hommes passent et les
principes sont éternels.

Chapitre 7
     
    Au moment même où Pichegru faisait massacrer
ses divisions par les Autrichiens, avaient eu lieu les nouvelles
élections ; bientôt après, les gazettes nous apprirent que la
Convention venait de déclarer sa mission terminée, et que les
nouveaux représentants élus s’étaient partagés selon leur âge, pour
être du conseil des Anciens ou des Cinq-Cents ; que le conseil
des Cinq-Cents avait ensuite nommé cinquante membres, parmi
lesquels celui des Anciens avait choisi nos cinq directeurs :
Lareveillière-Lépaux, Letourneur (de la Manche), Rewbell, Barras et
Carnot, en remplacement de Sieyès, qui refusait. Ces directeurs
devaient être renouvelés par cinquième, d’année en année ; ils
pouvaient être réélus. Les conseils devaient se renouveler par
tiers, tous les ans.
    La Convention, en se retirant le 26 octobre
1795, avait duré trois ans et trente-cinq jours ; elle avait
rendu plus de huit mille décrets. Mais depuis le 9 thermidor et la
rentrée des girondins royalistes, ce qui restait d’hommes justes et
de vrais républicains dans cette assemblée, ne pouvait empêcher les
autres, en majorité, de ruiner ouvertement la république. Tous les
honnêtes gens furent donc heureux de la voir finir.
    Le 15 novembre nous reçûmes une lettre de
Chauvel, nous annonçant qu’il revenait à Phalsbourg, et le
surlendemain, un mardi, pendant la grande presse du marché, nous le
vîmes entrer dans notre boutique, sa petite malle de cuir à la
main, au milieu de l’encombrement des hottes, des paniers et des
grands chapeaux montagnards. Quel joyeux spectacle pour un homme de
commerce comme Chauvel ! Nous étions sortis du comptoir et
nous l’embrassions avec un bonheur qu’il est facile de se
représenter.
    Lui nous disait gaiement :
    – C’est bien, mes enfants, c’est
bien ; retournez à votre ouvrage, nous causerons plus
tard ; je vais me chauffer à la bibliothèque.
    Et, durant trois heures, derrière les petites
vitres de l’arrière-boutique, il vit les affaires que nous
faisions ; ses yeux brillaient de satisfaction. Les paysans de
connaissance et des files de patriotes entraient lui serrer la
main. On

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