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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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Desmoulins, – car c’étaient tous des bourgeois,
des avocats, des médecins, des savants, capables de faire sonner le
tocsin, de soulever les sections et de marcher à la tête du
peuple.
    – Non, lui répondit Chauvel, la
révolution les a tous consommés ; aussi les aristocrates ne
craignent plus le peuple des faubourgs, depuis qu’il n’a plus de
chefs ; le peuple lui-même est las de troubles à l’intérieur,
la dernière famine surtout, avant l’insurrection de prairial, l’a
complètement épuisé. Maintenant les royalistes cherchent un général
capable d’entraîner son armée contre la république ; s’ils le
trouvent, les bourgeois sont perdus ; ils auront beau crier au
secours ! le peuple, qu’ils ont trahi, laissera faire. Et
voilà comme la partie instruite de la nation, la bourgeoisie
laborieuse, sera paralysée, faute d’avoir le courage d’être juste
avec le peuple, de l’élever, de l’instruire, de lui donner sa part
dans le gouvernement, de le pousser aux premières places, s’il en
est digne. Que les fainéants descendent et disparaissent ; que
les travailleurs montent ; que les œuvres de chacun marquent
sa place dans la nation et non pas ses écus. Notre révolution c’est
cela ; si les bourgeois ne veulent pas le comprendre, tant pis
pour eux ; s’ils s’attachent aux royalistes, tous seront
emportés ensemble, car la république finira par triompher dans
toute l’Europe.
    Chauvel se plaisait à faire des discours. Je
ne me souviens pas de tout ce qu’il dit ; mais les principales
choses me sont restées, parce que si nous n’avons pas vu revenir un
Danton se remettre à la tête des affaires, les généraux n’ont pas
manqué, même les généraux anglais, prussiens, russes et
autrichiens, qui, par la suite, sont venus nous essuyer leurs
bottes sur le ventre. Cela rafraîchit les souvenirs d’un
homme ; j’ai toujours pensé que la constitution de l’an III en
était cause.
    Enfin, ce soir-là, chacun fut content d’avoir
éclairci ses idées sur notre constitution, et l’on résolut de se
réunir quelquefois pour causer des affaires du pays.
    Le lendemain, Chauvel ne s’occupait plus que
de notre commerce ; il avait déjà vu notre inventaire en
détail, nos bénéfices, notre dette, notre crédit. Je me souviens
que le troisième ou quatrième jour de son arrivée, il fit des
commandes de gazettes et de catéchismes républicains tellement
extraordinaires, que je crus qu’il perdait la tête ; il en
riait et me disait :
    – Sois tranquille, Michel, ce que
j’achète je suis sûr de le vendre ; j’ai déjà pris mes mesures
pour cela.
    Et, vers la fin de la semaine, arrivèrent des
paquets de petites affiches imprimées chez Jâreis, de Sarrebourg.
Ces petites affiches, grandes comme la main, portaient :
« Bastien-Chauvel vend : encre, plumes, papier,
fournitures de bureau ; il vend : épiceries, merceries,
fournitures militaires ; il débite eau-de-vie et
liqueurs ; il loue des livres à raison de trente sous par
mois, etc., etc. »
    – Mais, beau-père, lui dis-je, qu’est-ce
que vous voulez donc faire de tout cela ? Est-ce que nous
allons envoyer des gens poser ces affiches dans tous les
villages ? Vous savez bien que les trois quarts et demi des
paysans ne connaissent pas l’A B C ; à quoi bon faire une si
grande dépense ?
    – Michel, me dit-il alors, ceux qui
verront ces affiches savent tous lire ; nous allons les mettre
à l’intérieur de la couverture des livres que nous louons et que
nous vendons ; elles iront partout, et l’on se souviendra que
Bastien-Chauvel tient une quantité d’articles.
    Cette idée me parut merveilleuse ; durant
quinze jours, nous ne fûmes occupés, le soir, qu’à bien coller ces
affiches dans les livres de notre bibliothèque, dans les
catéchismes des droits de l’homme, et même sur les almanachs, qui
se vendaient plus que tout le reste.
    Les autres épiciers, merciers, quincailliers,
marchands de vin et d’eau-de-vie, voyant notre boutique toujours
pleine de monde, s’écriaient :
    – Mais qu’est-ce que cette maison a donc
pour attirer toute la ville ? On s’y porte comme à la
foire !
    Les uns se figuraient que le coin de la rue en
était cause, les autres la halle en face ; mais cela venait de
nos affiches, qui répandaient le nom de Bastien-Chauvel, et
faisaient connaître nos articles jusqu’à trois et quatre lieues de
Phalsbourg. Il arrivait alors que

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