Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
Vom Netzwerk:
riait ; on se dépêchait de servir, pour avoir le
temps d’échanger quelques mots, et puis on retournait à son
poste.
    Ce ne fut que vers une heure, quand les
marchands de grains, de légumes et de volailles eurent repris le
chemin de leur village, que nous pûmes enfin causer et dîner
tranquillement.
    Ce qui réjouissait le plus Chauvel, c’est
qu’avec notre grand débit de boissons, d’épicerie et de mercerie,
nous avions la facilité de répandre des journaux et des livres
patriotiques en masse. Il allait et venait dans notre petite
chambre, l’enfant sur les bras, et s’écriait :
    – Voilà ce qu’il fallait !…
Autrefois, quand je courais le pays ma hotte au dos, c’était trop
fatigant ; aujourd’hui que les gens viennent chez nous, nous
aurons tout sous la main. On ferme nos clubs ; nous aurons un
club dans chaque baraque, jusqu’au fond de la montagne ; au
lieu de lire à la veillée des histoires de bandits et de sorcières,
on lira les traits héroïques, les actions généreuses des citoyens,
leurs découvertes, leurs inventions, leurs entreprises utiles au
pays, les progrès du commerce, de la fabrication, de la culture
dans toutes les branches, enfin tout ce qui peut servir aux hommes,
au lieu de leur boucher l’esprit, de les rendre superstitieux et de
les aider à tuer le temps. Nous allons faire un bien immense.
    Il fut aussi très heureux de voir mon ami
Sôme ; du premier coup d’œil ils s’étaient jugés, et se
serrèrent la main comme d’anciens camarades.
    Ce même soir, après souper, Raphaël Manque,
Collin, le nouveau rabbin, Gougenheim, Aron Lévy, maître Jean et
mon père étant arrivés, les embrassades et les cris de joie
apaisés, on se mit à parler de politique.
    Chauvel raconta l’état de nos affaires ;
il dit que dans notre position actuelle, au milieu des divisions
qui nous déchiraient, de la ruine qui nous menaçait, du
découragement qui gagnait le peuple, les patriotes devaient
redoubler de prudence. Maître Jean Leroux ayant alors fait observer
que, la constitution de l’an III assurant à chacun ce qu’il avait
gagné, la révolution était en quelque sorte finie, Chauvel lui
répondit avec vivacité :
    – Vous êtes dans une grande erreur,
maître Jean, cette constitution ne finit rien du tout ; elle
remet au contraire tout en question. C’est l’œuvre des royalistes
constitutionnels et de la bourgeoisie, pour écarter le peuple du
gouvernement, et le priver de sa part légitime dans les conquêtes
de la république sur le despotisme. Quand je dis que la bourgeoisie
est complice des royalistes dans cette abomination, il faut
distinguer entre l’honnête bourgeoisie, et l’intrigante qui
l’entraîne dans ses manœuvres ; les vrais bourgeois sont les
enfants du peuple, élevés par leur instruction, leur intelligence
et leur courage ; ce sont les commerçants, les fabricants, les
entrepreneurs, les avocats, les gens de loi, les médecins, les
écrivains honnêtes, les artistes de toute sorte, tous ceux qui font
avec les ouvriers et les paysans la richesse d’un pays.
    » Ceux-là ne veulent que la
liberté ; c’est leur force, leur avenir ; sans liberté,
toute cette bourgeoisie, la vraie, – celle qui dans le temps a
demandé l’abolition des jurandes et des communautés, qui plus tard
a rédigé les cahiers du tiers dans toute la province, et qui par sa
fermeté, par son bon sens, a forcé la main du roi, de la noblesse
et du clergé – sans la liberté, cette brave et solide bourgeoisie,
l’honneur et la gloire de la France depuis des siècles, est
perdue !… Mais à côté de celle-là, malheureusement, il en
existe une autre, qui n’a jamais vécu que de places du
gouvernement, de pensions sur la cassette, de monopoles et de
privilèges, qui donnait tout au roi, pour recevoir de sa main
sacrée les dépouilles de la nation.
    » Celle-là ne veut pas de la
liberté ; la liberté, c’est la supériorité du travail, de
l’intelligence et de la probité sur l’intrigue ; elle aime
mieux tout obtenir de la munificence d’un prince ou d’un
stathouder, cela coûte moins de peine ; les enfants sont
recommandés ; on leur apprend à plier l’échine, à traîner le
chapeau jusqu’à terre devant les grands, et les voilà lotis, leur
avenir est assuré. C’est cette bourgeoisie-là qui vient de faire la
constitution de l’an III, malgré nous ; avec les
soixante-treize girondins rentrés à la Convention

Weitere Kostenlose Bücher