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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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citoyen
Bonaparte, mis en disponibilité, comme robespierriste, par Aubry.
Celui-là n’était pas tendre ; il fit armer les faubouriens
tout de suite, pensant qu’ils avaient un vieux compte à régler avec
les messieurs de la section Lepelletier et des environs ; il
réunit aussi des canons et des munitions, et le peuple des
faubourgs marcha contre les bourgeois aristocrates, qui furent
rudement menés. Bonaparte les balaya sans pitié sur les marches de
l’église Saint-Roch, à coups de mitraille. La Convention était
désolée, mais les jeunes gens avaient besoin d’une leçon :
cinq cents restèrent sur la place, et l’affaire, commencée dans
l’après-midi, finit à neuf heures du soir.
    Au lieu de se montrer terrible et dure envers
les vaincus, comme en germinal et en prairial, la Convention cette
fois fut très douce et pitoyable, elle ne fusilla que deux insurgés
et ne déporta personne. C’étaient des siens, des royalistes, qui
montraient seulement un peu trop de zèle pour happer le bien
public ; cela méritait de l’indulgence. On licencia leurs
compagnies, ce fut tout.
    Les jacobins avaient reçu des fusils et des
cartouches ; ils auraient pu s’en servir contre
l’Assemblée ; mais le dégoût avait gagné les patriotes. Ceux
qu’ils aimaient étaient morts ! Qui mettre à la place de
Danton, de Desmoulins, de Robespierre, de Saint-Just ? Ce
n’étaient pas Legendre, Tallien, Fréron et d’autres êtres
pareils.
    Ces mouvements de Paris nous avaient rendus
attentifs ; nous en causions tous les soirs à la bibliothèque,
mais bientôt nos pensées furent ailleurs : la guerre
s’avançait de notre côté ; on armait la place comme en
92 : des troupes innombrables, à pied et à cheval continuaient
de défiler ; il en arrivait de l’armée des Alpes, de la
Vendée, de partout. Le grand effort allait encore une fois se
porter sur le Rhin, la Meuse et la Moselle ; nous avions de la
peine à servir tout le monde qui se présentait chez nous. Et voilà
qu’un jour, à midi, comme je m’asseyais à table pour dîner,
Marguerite me donne une lettre en me disant :
    – Elle est arrivée ce matin. C’est un
vieux de la Vendée qui t’écrit. Il te dit d’aller le voir à
Fénétrange ; mais avec le travail que nous avons, tu ne peux
pas t’absenter.
    Moi je regarde : c’était un billet de mon
vieux camarade Sôme, qui se rendait avec notre batterie à l’armée
de Rhin-et-Moselle sous Mayence, et faisait un détour de quinze
lieues pour avoir le plaisir de m’embrasser.
    En voyant cela, je devins tout pâle et je dis
à Marguerite :
    – Ne pouvais-tu donc pas me montrer cette
lettre à sept heures du matin, quand elle est arrivée ?
Comment ! un de mes plus vieux camarades, un homme avec lequel
j’ai combattu tous les jours pendant des mois, se détourne en route
de quinze lieues pour me serrer la main, et le pauvre diable ne me
trouvera pas ?
    – Je croyais que c’était un vieil
ivrogne, me dit-elle.
    Alors je frémis. Mon indignation était trop
grande ; elle m’empêcha de lui répondre ; et voyant le
courrier de Murot qui passait, je pris mon chapeau en courant et en
criant :
    – Halte ! halte !
    Je n’avais pas un sou dans ma poche. Le père
Murot s’arrêta sur la route, je montai près de lui, et nous
repartîmes d’un bon train. Durant plus d’un quart d’heure il me fut
impossible de parler ; et comme Murot me regardait étonné, je
finis par lui raconter ce qui venait de m’arriver.
    – Bah ! fit-il, ce n’est rien, tu as
eu raison de te fâcher ; toutes les femmes se ressemblent,
elles ne voient que leur mari et la couvée.
    Il continua de parler ainsi. Je ne l’écoutais
déjà plus ; mais à la grande montée de Wéchem, voyant que la
voiture allait tout lentement, l’impatience me gagna, j’empruntai
de Murot un écu de six livres et je me remis en route à pied,
arpentant le chemin comme un cerf. L’idée que mon pauvre vieux Sôme
m’attendait, et qu’il serait peut-être forcé de partir avant de
m’avoir vu, me saignait le cœur. Je passai Metting, Droulingen,
tous les autres villages qui se suivent, sans rien regarder ni
m’arrêter nulle part. À trois heures du soir j’avais fait cinq
lieues, et j’arrivais à Fénétrange. Le premier mot que je dis en
entrant dans la salle de l’auberge de l’Étoile, c’est :
    – Il est parti ?
    – Qui ça ? me demanda le père
Bricka.
    – Celui qui

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