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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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les autres marchands,
reconnaissant notre prospérité, se mettaient à vendre les mêmes
articles que nous ; je m’en indignais, mais le père Chauvel
s’en faisait du bon sang et me disait :
    – Hé ! c’est tant mieux,
Michel ; les pauvres diables n’ont pas d’idées, ils sont
forcés de suivre les nôtres, et nous avons toujours l’avance. Voilà
ce qu’on appelle le progrès, la liberté du commerce ; quand on
veut la liberté pour soi, il faut la vouloir pour tous. La seule
chose que nous ne pourrions pas permettre, ce serait si des gueux,
des filous, mettaient de nos affiches signées Bastien-Chauvel sur
de mauvaises drogues ; alors la justice serait là, leur
industrie ne durerait pas longtemps, parce que les honnêtes gens de
tous les partis sont associés contre la canaille ; c’est ce
qui fait l’institution des tribunaux, et ce qui rend la justice si
respectable.
    Notre petit commerce allait donc de mieux en
mieux depuis le retour de Chauvel, et pourtant cet hiver de 1795
fut bien mauvais, à cause de la masse des assignats qui grandissait
toujours, et que personne ne voulait plus recevoir.
    Le Directoire était bien forcé d’en faire de
nouveaux, puisque nous n’avions plus d’argent et qu’il fallait
payer les armées, les fonctionnaires, la justice, etc. ;
c’était une véritable désolation. Il fallut même décréter que la
moitié des contributions seraient payées en foin, paille, grains de
toutes sortes pour l’approvisionnement des troupes. Cette mesure
fit jeter de grands cris ; les paysans ayant obtenu presque
pour rien la meilleure part des propriétés nationales, n’y
pensaient déjà plus, ou ne voulaient plus en entendre parler ;
l’égoïsme et l’ingratitude s’étendaient partout ; et, quand on
y regarde de près, c’était de la pure bêtise, car si les armées
n’avaient pas été soutenues, la noblesse serait rentrée et les
paysans n’auraient pas gardé leurs biens.
    C’est aussi dans cet hiver que Hoche pacifia
la Vendée, qui s’était insurgée de nouveau, pensant que le comte
d’Artois allait arriver. Mais ce fils de saint Louis et de Henri IV
était un lâche ! Après avoir débarqué d’abord à l’île Dieu, il
refusa de descendre en Vendée, malgré les supplications de
Charette, et repartit pour l’Angleterre, abandonnant les malheureux
qui s’étaient soulevés pour lui.
    Hoche pacifia le Bocage et le Marais, en
écrasant les insurgés, en permettant aux gens paisibles de rebâtir
leurs églises ; en prenant Stofflet et Charette et les faisant
fusiller. Cela lui fit le plus grand honneur.
    Après cette pacification, il pacifia la
Bretagne, en exterminant les chouans comme les autres, et disant
aux paysans :
    – Restez tranquillement chez vous ;
priez Dieu ; élevez vos enfants ; tout le monde est libre
sous la république, excepté les bandits qui veulent tout avoir sans
travailler.
    La grande masse des gens était alors si lasse,
si malheureuse, qu’on ne demandait plus que le repos. À Paris on
s’amusait, on dansait, on donnait des fêtes, on se gobergeait de
toutes les façons. Je parle des Cinq-Cents, des Anciens et du
Directoire, de leurs femmes et de leurs domestiques, bien entendu.
Quelquefois Chauvel, en lisant cela, hochait la tête et
disait :
    – Ce Directoire tournera mal, mais ce
n’est pas tout à fait sa faute ; les souffrances ont été si
grandes, le peuple a perdu tant de sang ; les hommes forts ont
été si durs envers eux-mêmes et les autres ; ils ont rendu la
vertu si lourde, si pénible, que maintenant la nation découragée ne
croit plus à rien, et s’abandonne elle-même. Dieu veuille que les
généraux soient patriotes et vertueux ! car aujourd’hui qui
pourrait les démasquer, les traduire à la barre, les juger et les
condamner ? Ce que les Lafayette et les Dumouriez n’ont pu
tenter sans péril, ceux-ci le feraient sans peine.
    Ce qui nous fit à tous plaisir, et surtout à
Sôme, ce fut d’apprendre que Pichegru venait d’être destitué. On
avait découvert à Paris, chez un nommé Lemaître, des papiers
prouvant que lui, Tallien, Boissy-d’Anglas, Cambacérès, Lanjuinais,
Isnard, l’organisateur des compagnons de Jéhu, et plusieurs autres
étaient en correspondance avec le comte de Provence, qui s’appelait
alors Louis XVIII. On aurait dû les arrêter et les juger comme
autrefois ; mais, sous le Directoire, la république était si
faible, si faible, que le

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