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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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casser une croûte de pain, en se
promenant avec agitation autour de la table, et nous racontant ses
batailles ; car c’étaient de véritables batailles, où les
émigrés, rentrés en masse, s’appuyaient sur ces constitutionnels de
l’an III, les plus grands hypocrites que la France ait jamais eus à
sa tête.
    Quand j’y pense aujourd’hui, quand je me représente ce vieillard
courageux, qui sacrifie tout pour la liberté, qui se refuse tous
les biens de ce monde, pour élever la nation et la retenir sur une
mauvaise pente, je suis dans l’admiration.
    Mais alors l’égoïsme d’un homme qui n’avait rien, et qui se
trouve par hasard maître d’une bonne entreprise ; qui voit son
bien s’arrondir et veut remplir ses obligations ; la famille
qui grandit, car un second enfant était en route ; la
concurrence des autres, qui se moquent de tous les gouvernements,
pourvu que leurs affaires marchent, tout cela me faisait penser
souvent :
    « Le beau-père est fou !… Ce n’est pas lui qui pourra
changer le cours des choses. Est-ce que nous n’avons pas rempli
notre devoir ? Est-ce que nous n’avons pas assez souffert
depuis six ans ? Qui est-ce qui pourrait nous faire des
reproches ? Que les autres se sacrifient comme nous ;
chacun son tour, il ne faut pas que les mêmes supportent toujours
la charge ; c’est contraire au bon sens !… »
    Ainsi de suite !
    J’en voulais à Chauvel de quitter la boutique les jours de
marché, pour courir aux réunions électorales ; de nous faire
perdre nos meilleures pratiques par ses discours, et de s’inquiéter
aussi peu de notre commerce d’épiceries, que s’il n’avait pas
existé. Je suis sûr que le plaisir de vendre des gazettes et des
livres patriotiques le retenait seul à la maison, et que sans cela
nous l’aurions revu courir l’Alsace et la Lorraine, la hotte au
dos.
    Eh bien, les efforts de cet honnête homme et de milliers
d’autres jacobins ne suffirent pas. C’est principalement en temps
de révolution que les fautes se payent ; combien de ceux que
Robespierre, Saint-Just et Couthon avaient sacrifiés comme n’étant
pas assez purs, nous seraient alors bienvenus ! ils étaient
morts !… et la mauvaise race seule restait, avec une nation
fatiguée, découragée,
ignorante,
et des ambitieux en
masse.
    Les élections de l’an V furent pires que celles de l’an
III ; le peuple n’ayant plus de voix, deux cent cinquante
royalistes entrèrent encore dans les conseils de la république,
et, réunis aux autres, ils nommèrent aussitôt Pichegru
président des Cinq-Cents et Barbé-Marbois président des
Anciens.
Cela signifiait clairement qu’ils se moquaient des
droits de l’homme, et qu’ils croyaient le moment venu de rappeler
Louis XVIII.
    Le Directoire les gênait, parce qu’il tenait la place du fils de
saint Louis. Ces nouveaux représentants résolurent de le
dégoûter ; ils se mirent tout de suite à l’œuvre, et du
1 er prairial au 18 fructidor, en moins de quatre mois,
voici ce qu’ils firent. Après le remplacement du directeur
Letourneur, par Barthélémy (un royaliste !) ils abrogèrent la
loi qui excluait les parents d’émigrés des fonctions publiques, et
les décrets de la Convention contre les traîtres qui, dans le
temps, avaient livré Toulon aux Anglais ; ils abolirent la
déportation pour les réfractaires ; ils reprochèrent au
Directoire d’avoir fait des traités en Italie, sans l’autorisation
des conseils, ce qui retombait sur Bonaparte ; ils
autorisèrent les assassinats et les brigandages de l’Ouest et du
Midi, en refusant tout secours au gouvernement pour les faire
cesser ; ils voulurent rétablir les églises catholiques,
disant que c’était le culte de l’immense majorité des Français, le
culte de nos pères, notre unique bien, seul capable de faire
oublier quatre années de carnage, comme si les Vendéens, bons
catholiques, n’avaient pas commencé le massacre.
    Deux ou trois jacobins leur répondirent vertement, et le peuple
parisien parut de si mauvaise humeur, qu’ils retardèrent la chose
pour quelque temps. Ils mirent sur le dos de notre Directoire tous
les malheurs de la république, la chute des assignats, la
dilapidation des finances, et lui refusèrent régulièrement tout ce
qu’il demandait. Ils ne finissaient pas de crier que la garde
nationale seule pouvait tout sauver ; mais dans la garde
nationale ne devaient entrer que les gens payant le cens :
tous

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