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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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vais à
la Ville de Bâle.
    Il se leva, et, se retournant du côté de mon
beau-père :
    – Quant à toi, dit-il, tu es noté ! Boire à ta
république ! (Il le regardait de haut en bas et de bas en
haut.) Moi, Nicolas Bastien, un soldat du roi, boire à ta
république !… Attends, ta corde est prête !
    Chauvel, assis, lui lançait un coup d’œil de mépris en
souriant ; mais il était vieux et faible ; le grand
bandit l’aurait écrasé. La colère alors me gagnait tellement vite,
que je voulus parler et ne pus dire qu’un mot :
    – Prends garde ! Nicolas, prends garde !… c’est
mon père !…
    – Toi, fit-il en me regardant par-dessus l’épaule,
tais-toi !… Quand on a épousé la fille d’un calviniste, d’un
régicide, une petite…
    Mais dans le même instant je l’avais empoigné sous les bras,
comme dans un étau, je traversais la boutique en le cognant aux
pains de sucre du plafond ; et, comme la porte était ouverte,
je le lançai dehors à plus de dix pas ; par bonheur, la rue
n’était pas encore pavée en 97 ; il ne se serait plus relevé.
Ses cris, ses jurements fendaient l’air. Derrière moi Étienne et
Marguerite poussaient aussi des cris terribles. Tous les gens de la
petite place regardaient aux fenêtres. Nicolas, en se relevant tout
pâle et grinçant des dents, revint sur moi. Je l’attendais ;
malgré sa fureur, il eut le bon sens de s’arrêter à quelques pas,
voyant bien que j’allais le déchirer ; mais il me
cria :
    – Tu as été soldat, je t’attends derrière l’arsenal.
    – C’est bon, Royal-Allemand, lui répondis-je, mon sabre de
la 13 e légère est encore là ; cherche tes témoins,
dans vingt minutes j’y serai. Tu ne me piqueras pas sous le téton,
je connais le coup !
    Étienne m’apportait le grand chapeau, en pleurant à chaudes
larmes ; je le jetai dehors et je refermai la boutique.
Marguerite, toute pâle, disait :
    – Tu ne te battras pas avec ton frère !
    – Celui qui insulte ma femme n’est plus rien pour moi, lui
dis-je ; dans vingt minutes il faut que l’affaire soit
vidée.
    Et, malgré Chauvel, qui me cria qu’on ne croise pas le fer avec
un traître, je décrochai mon sabre et je sortis aussitôt chercher
Laurent et Pierre Hildebrand pour témoins. La nuit
approchait ; comme je descendais la rue, Chauvel montait à la
mairie. Un quart d’heure après, mes témoins et moi nous descendions
la rue du Rempart ; ils avaient aussi des sabres de cavalerie,
en cas de besoin. Mais à peine dans la rue de l’Arsenal, nous
entendîmes crier au loin :
    – Halte !… halte !… Arrêtez !…
    Nicolas passait ventre à terre devant la sentinelle, sur un
grand cheval roux ; le factionnaire n’avait pas eu le temps de
croiser la baïonnette, et les cris : « Arrêtez !
arrêtez ! » se prolongeaient sous la porte d’Allemagne.
Nous courûmes de ce côté ; des gendarmes nationaux, venus de
Sarrebourg, filaient dans la même direction, à la poursuite du
gueux. Alors nous rentrâmes chez nous. Chauvel, qui m’attendait sur
la porte, me dit :
    – J’étais monté pour signaler ce mauvais drôle aux
autorités et le faire arrêter tout de suite ; mais ce n’était
pas nécessaire, l’or qu’il montrait partout sur sa route, comme un
animal, l’avait déjà fait suivre de Blamont à Sarrebourg. Il vient
de voler un des meilleurs chevaux de Franconi pour
s’échapper ; la vue des gendarmes, qui traversaient la place,
l’a prévenu du danger. Franconi ne le connaissait que depuis Toul,
c’est un agent royaliste, un espion.
    J’écoutais ces choses avec indignation ; et puis nous
entrâmes souper. Marguerite était bien contente ; le père
Chauvel à chaque instant prenait une bonne prise et
s’écriait :
    – Quel agrément d’avoir la poigne de Michel !… A-t-il
bien enlevé le bandit ! Je le voyais filer à travers les
brosses et les pains de sucre, comme une plume emportée par le
vent.
    Et tout le monde riait.
    L’affaire n’était pourtant pas encore finie, car, le lendemain
matin, sur les dix heures, pendant la vente, ma mère entra
furieuse ; elle posa son panier sur le comptoir, et, sans
faire attention aux étrangers, sans regarder l’enfant sur le bras
de Marguerite, les cheveux ébouriffés et les yeux hors de la tête,
elle se mit à m’habiller de toutes les injures qu’il est possible
d’inventer, me traitant de Caïn, de Judas, de Schinderhannes, me
prédisant

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