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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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la Lorraine, arrive chez nous avec sa troupe. Il plante ses
piquets, il ouvre une grande tente en toile sur la place, il
promène ses chevaux, sonne de la trompette, bat de la grosse caisse
et fait ses publications. Une quantité de gens allaient le voir.
J’aurais bien voulu mener aussi Marguerite à ce spectacle, quand
cela aurait dû me coûter deux ou trois francs, mais en temps de
fête, notre boutique ne désemplissait pas de monde, c’était
impossible.
    Tout se serait donc passé de la sorte, si des Baraquins
n’étaient venus me dire l’un après l’autre, d’un air d’admiration,
que Nicolas était écuyer dans la troupe de Franconi. Moi, songeant
que si Nicolas rentrait par malheur, les lois de la république le
condamneraient à mort, pour avoir passé à l’ennemi avec armes et
bagages, je leur répondais qu’ils se trompaient, que nous avions
l’acte de décès du pauvre Nicolas depuis longtemps ; ils
hochaient la tête. Et, dans un de ces moments où nous étions en
dispute, vers six heures du soir, tout à coup un grand gaillard, en
habit bleu de ciel garni de galons d’argent, un chapeau magnifique
tout couvert de plumes blanches penché sur l’oreille, des éperons
dorés aux bottes, entre en faisant claquer sa cravache et
criant :
    – Hé ! hé ! hé ! Michel, c’est moi !…
Puisque tu ne viens pas me voir, il faut bien que je me
dérange.
    C’était le gueux. Tous les gens de la boutique le
regardaient ; naturellement, malgré ma crainte et ce que je
venais de dire, je fus bien obligé de le reconnaître et de
l’embrasser. Étienne aussi lui sauta dans les bras. Le malheureux
sentait horriblement l’eau-de-vie. Le père Chauvel regardait par la
petite vitre de la bibliothèque. Marguerite tremblait, car elle
connaissait les lois de la république sur les traîtres. Il fallait
le recevoir tout de même, et je lui dis en l’entraînant à la
bibliothèque :
    – Arrive !
    Il se balançait en criant :
    – Ah çà ! tu sais que je m’invite à souper ?
As-tu du vin ?… As-tu ci ?… As-tu ça ?… car je ne te
cache pas que je suis habitué à me soigner maintenant. Hé !
hé ! hé ! qu’est-ce que c’est ?… Tiens… elle n’est
pas mal cette petite !
    – C’est ma femme, Nicolas.
    – Hé ! la petite Chauvel… Marguerite Chauvel… des
porte-balle… Connu… connu.
    Marguerite était devenue toute rouge. Les gens riaient. Il finit
par entrer à la bibliothèque.
    – Hé ! le vieux Chauvel !… On vit en famille… on
a laissé la hotte de côté !…
    – Oui, Nicolas, dit Chauvel en prenant une prise et
clignant de l’œil, on s’est fait épicier ; tout le monde ne
peut pas devenir colonel dans la troupe de Franconi.
    Qu’on se figure comme j’étais honteux. Nicolas, s’entendant
appeler colonel de Franconi, ne parut pas content ; il regarda
Chauvel de travers, mais il ne dit rien. J’espérais m’en
débarrasser en lui soufflant à l’oreille :
    – Au nom du ciel ! Nicolas, méfie-toi, toute la ville
t’a reconnu ; tu sais, la loi sur les émigrés…
    Mais il ne me laissa pas seulement finir, et s’allongeant sur
une chaise, contre le petit bureau, les jambes étendues et le nez
en l’air, il se mit à crier :
    – Émigré ! oui, je suis émigré ! Les honnêtes
gens sont sortis, la canaille est restée… Qu’on me reconnaisse,
tant mieux ! Je me moque de la canaille. Nous avons des amis,
nous en avons en haut ; ils nous rappellent, ils nous ouvrent
les portes… Connaissez-vous ça ? Ça n’est pas des assignats…
c’est la clef de votre république… Hé ! hé !
hé !
    Il avait fourré la main dans la poche de son pantalon, et
faisait sauter en l’air une douzaine de louis. Quel malheur d’avoir
pour frère un pareil imbécile ; un ivrogne, un traître, un
vendu, qui s’en vante !
    Finalement, le père Chauvel, qui voyait mon embarras et ma
honte, dit :
    – Nicolas arrive bien, c’est l’heure du souper, nous allons
boire à la santé de la république quelques bons coups, et puis nous
nous quitterons bons amis. N’est-ce pas, Nicolas ?
    Marguerite, toute rouge, revenait avec la soupière ;
Étienne s’était dépêché de chercher du vin ; la table était
mise, il ne fallait plus qu’une assiette. Nicolas regardait ces
choses de côté, d’un air hautain, et, sans répondre au père
Chauvel, il dit :
    – Une soupe aux choux… du petit vin blanc d’Alsace…
décidément je

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