Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
semblait se
rétablir. Je me souviens avoir lu dans ce temps un discours de
Bernadotte, envoyé par Bonaparte à Paris, pour offrir au conseil
des Cinq-Cents les derniers drapeaux enlevés en Italie ; il
s’écriait :
« Dépositaires suprêmes des lois, certains du respect et de
l’obéissance constitutionnels à la patrie, continuez d’exciter
l’admiration de l’Europe ; comprimez les factions et les
factieux ; terminez le grand ouvrage de la paix ;
l’humanité la réclame, elle désire qu’il ne soit plus versé de
sang. »
Et ce gascon, qui venait de remettre au Directoire des papiers
prouvant que les royalistes conspiraient sa perte, continuait de la
sorte, disant que nos armées n’avaient pas de plus grand désir que
de se dévouer pour les conseils.
Mais, cinq ou six jours après, voilà des files de courriers qui
passent à Phalsbourg en criant : « Vive la
république ! » et qui jettent des poignées de
proclamations sur leur route. Chacun en ramassait et courait à la
maison pour les lire. Élof arrive chez nous, criant comme un
fou :
– Ils sont à terre !… la république triomphe !
Vive la république une et indivisible !
Il tenait une proclamation et se mit à la lire de sa grande
voix, dans notre boutique ; nous, penchés autour, nous
écoutions étonnés. Ce n’était plus l’enthousiasme de l’an I ni de
l’an II ; on avait vu tant de choses, que rien ne pouvait plus
vous toucher ; seulement c’était une surprise ; et
Marguerite elle-même, l’enfant endormi sur l’épaule, me regardait
en souriant. Chauvel prisait d’un air d’attention et semblait
dire :
« C’est bon ! je sais déjà comment l’affaire a dû se
passer, les soldats ont eu le dessus. »
Voici cette proclamation, que j’ai retrouvée hier dans mes vieux
papiers. Je ne veux pas la copier tout entière ; tant de
proclamations finissent par ennuyer, c’est toujours un peu la même
chose :
«
Le Directoire exécutif aux citoyens de
Paris.
» Ce 18 fructidor an V de la République une et indivisible.
– deux heures du matin.
» Citoyens,
» Le royalisme, par un nouvel attentat, vient de menacer la
constitution. Après avoir depuis un an ébranlé toutes les bases de
la république, il s’est cru assez fort pour en consommer la ruine.
Un grand nombre d’émigrés, d’égorgeurs de Lyon, de brigands de la
Vendée, attirés ici par le tendre intérêt qu’on ne craignait pas de
leur prodiguer publiquement, ont attaqué les postes qui
environnaient le Directoire exécutif ; mais la vigilance du
gouvernement et des chefs de la force armée a rendu nuls leurs
criminels efforts. Le Directoire exécutif va placer sous les yeux
de la nation les renseignements authentiques qu’il a recueillis sur
les manœuvres du royalisme. Vous frémirez, citoyens, des complots
tramés contre la sûreté de chacun de vous, contre vos propriétés,
contre vos droits les plus chers, contre vos possessions les plus
sacrées, et vous pourrez mesurer l’étendue des calamités dont le
maintien de votre constitution actuelle peut seul vous préserver
désormais. »
Cette proclamation et toutes les pièces de la conspiration
royaliste furent affichées par Christophe Steinbrenner et les
officiers municipaux, à la porte du club, à celle de la mairie, aux
deux portes de la ville, et puis elles furent envoyées dans tous
les villages.
Ce 18 fructidor, les royalistes tombèrent pour bien des années.
Nous apprîmes le lendemain qu’ils n’avaient pas bougé, mais qu’on
les avait attaqués eux-mêmes, sachant qu’ils faisaient leurs
préparatifs ; que le général Augereau, à la tête de douze
mille hommes, avait entouré les Tuileries dans la nuit du 17 ;
que, sur les trois heures du matin, un coup de canon avait donné le
signal de l’attaque ; que la garde des conseils, d’environ
mille hommes, n’avait fait aucune résistance ; que la
commission des inspecteurs ayant convoqué les conseils pour cette
même nuit, un grand nombre de députés avaient été pris avec le
colonel de la garde et conduits à la prison du Temple ; qu’un
détachement de troupe, chargé d’arrêter Carnot et Barthélémy au
Luxembourg, n’avait trouvé que Barthélémy, et qu’on pensait que
Carnot s’était échappé ; que, le matin venu, les membres des
deux conseils arrivant en procession aux Tuileries, on avait mis la
main sur les conspirateurs ; et que tous les autres
représentants,
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