Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
trouvaient là tombèrent d’accord que le
Directoire ne valait pas grand-chose ; qu’il était pillard,
voleur, affamé de millions, sans pudeur et sans bon sens, sans
courage pour résister à ses propres généraux ; mais qu’il
valait encore mille fois mieux que les deux conseils, empoisonnés
de royalisme ; et que, dans cette situation, s’il arrivait un
mouvement, les patriotes devraient se déclarer pour le
Directoire.
Les portes de la ville étaient fermées depuis longtemps, lorsque
notre petite assemblée se sépara ; je n’en fus pas fâché, car
tout le temps de la délibération j’avais eu peur d’entendre frapper
au volet, et l’officier de police Maingole, avec sa brigade, crier
dans la nuit :
– Au nom de la loi, ouvrez !
Il ne se passa rien de pareil heureusement, et l’on se sépara
sans bruit, vers une heure du matin. C’était en juillet 1797.
Quelques jours après, on lut un beau matin dans les gazettes que
Hoche, général en chef de l’armée de Sambre-et-Meuse, s’avançait
sur Paris avec vingt-sept mille hommes ; qu’il avait passé par
Mézières dans la nuit du 9 au 10, et qu’il avait traversé le
département de la Marne à marches forcées, malgré les observations
du général Férino. Les gazettes étaient pleines des grands cris que
cela faisait jeter aux royalistes des deux conseils, d’explications
qu’ils demandaient au Directoire, de menaces contre les armées et
les généraux qui s’approchaient trop de la capitale.
Les Cinq-Cents décrétèrent, sur le rapport de Pichegru, que la
distance de six myriamètres prescrites par l’article 69 de la
constitution serait mesurée à vol d’oiseau ; que dans la
décade qui suivrait la publication de cette loi, le Directoire
exécutif ferait établir sur chaque route, à la distance déterminée,
une colonne portant cette inscription : « Limite
constitutionnelle pour les troupes » ; que sur chacune de
ces colonnes serait gravé l’article 69 de la constitution, plus les
articles 612, 620, 621, 622 et 639 du Code pénal du 3 brumaire an
IV ; que tout commandant en chef de la force armée, toute
autorité civile ou militaire, tout
pouvoir constitué
quelconque
ayant donné l’ordre à une troupe de franchir ces
limites, serait déclaré coupable d’attentat contre la liberté
publique, poursuivi et puni conformément à l’article 621 du code
des délits et des peines.
Il paraît que ces cris et cette loi effrayèrent le Directoire un
instant. Hoche reçut l’ordre de s’éloigner. Il obéit. Mais on avait
vu que cinq ou six marches forcées pouvaient mettre le gouvernement
sous la main d’un général. Le civisme de Hoche et la faiblesse des
directeurs, qui n’avaient pas osé faire leur coup, retardèrent
seuls le bouleversement.
En ce temps, l’armée d’Italie, à l’occasion des fêtes du 14
juillet, lança de terribles menaces contre les royalistes. La
division d’Augereau se distingua. Augereau, le vainqueur de
Castiglione, un enfant du faubourg Antoine, se déclara hardiment
pour le Directoire contre les conseils, et le Directoire nomma tout
de suite Augereau commandant de la 17 e division
militaire, où se trouvait compris Paris. Il arriva sur la fin de
juillet. On ne parlait plus que d’Augereau, de ses magnifiques
habits, brodés d’or jusque sur les bottes, et des aigrettes en
diamant de son chapeau. Quelle belle campagne nous avions faite
là-bas !
Pichegru, chef de la garde des Cinq-Cents, était alors un pauvre
homme auprès d’Augereau, que plusieurs mettaient au-dessus de
Bonaparte.
Je ne pense pas que Pichegru se soit fié beaucoup aux colonnes
militaires qu’on venait de décréter ; il aurait bien mieux
aimé avoir un commandement que de se reposer sur les articles 621
et 639.
Carnot, membre du Directoire, et qu’on avait toujours vu du côté
de la loi, s’obstinait à soutenir les conseils avec Barthélémy,
contre les trois autres directeurs. Combien de fois les patriotes
réunis chez nous, le soir, ont-ils plaint cet honnête homme d’être
au milieu de la race des filous, et forcé de prendre parti pour des
gens qu’il méprisait, contre d’autres plus méprisables
encore ! il aurait dû donner sa démission.
Les choses traînèrent ainsi pendant les mois de juillet et
d’août. Les récoltes de cette année 1797 n’avaient pas été
mauvaises ; les vendanges en Alsace approchaient, on pensait
que le vin serait de bonne qualité : le calme
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