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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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des
paysans, car on ne regarde pas comme de grands malins ceux qui se
ruinent en procès avant de s’entendre. Les avocats s’enrichissent
avec les imbéciles, et les généraux avec les peuples stupides. Ce
fameux traité de Campo-Formio est pourtant le fondement de la
gloire de Bonaparte.
    Ce que je vous dis, tous les hommes de bon sens le pensaient et
se le disaient entre eux ; mais le peuple, la masse qui ne
sait rien et ne comprend rien, était dans l’enthousiasme ;
elle donnait toute la gloire de cette paix à Bonaparte ; elle
ne se rappelait plus combien de fois nous avions battu les
Allemands depuis quatre ans ; Bonaparte avait tout
fait !… comme lorsqu’on charge une balance à la halle, et que
le dernier sac, sur vingt autres finit par entraîner le plateau,
tout le reste ne compte plus ; les êtres sans raison se
figurent que ce dernier sac emporte tout. Voilà le peuple !…
voilà l’ignorance !
    Maintenant vous allez voir le reste, car ce n’est jamais fini,
le reste arrive toujours.
    Alors on voyait dans les gazettes des articles comme
ceux-ci : « Milan, le 26 brumaire. – Le général Bonaparte
a quitté Milan hier matin, pour aller présider la légation
française au congrès de Rastadt. » – « Mantoue, 6
novembre. – Le passage du général Bonaparte dans cette ville a été
marqué par des circonstances qui méritent d’être connues. Il fut
logé au palais des anciens ducs. Les administrateurs et les
municipaux en grand costume allèrent le complimenter. » Ou
bien encore : « Le voyage du général Bonaparte à travers
la Suisse a été un grand événement dans ce pays, où depuis
longtemps on est dans une grande inquiétude sur des menaces
d’invasion. Bonaparte, par les dispositions amicales qu’il a
montrées aux députés de Berne, paraît avoir rassuré nos
populations. On a confiance dans sa franchise et sa
générosité. » – « Bonaparte a passé à Genève le 21 et a
dîné chez le résident de France. Depuis plusieurs jours, on
l’attendait sur toutes les routes ; enfin ses courriers ont
annoncé son arrivée. » – « La voiture du général
Bonaparte s’est cassée ce matin près d’Avenche ; il est
descendu, et nous l’avons vu arriver à pied, avec quelques
officiers et une escorte de dragons. Il s’est arrêté près de
l’ossuaire. Un bon bourgeois de Morat, de cinq pieds sept à huit
pouces, observait avec étonnement le général. « Voilà une bien
petite stature pour un si grand homme ! s’écria-t-il. » –
« C’est justement la taille d’Alexandre, » dis-je, ce qui fit
sourire l’aide de camp. – « Les mêmes honneurs ont été rendus
à Bonaparte dans toute la Suisse ; Lausanne était illuminée à
son arrivée. » – « Bonaparte a dîné le 2 frimaire dans le
petit bourg de Rolle. Les canons des remparts ont annoncé son
entrée à Bâle. Aussitôt la forteresse de Huningue et les redoutes
environnantes ont répété les mêmes signaux, etc., etc. »
    À Paris, aux Cinq-Cents, c’était encore autre chose ; là,
l’enthousiasme faisait ouvrir la bouche des admirateurs de
Bonaparte jusqu’aux oreilles : « Enfin, nous l’avons donc
conquise cette paix que nous voulions honorable et sûre ; elle
va rouvrir les sources et les canaux de la prospérité
publique ; elle va rendre à l’arbre de la liberté des sucs
nourriciers qui le chargeront des fruits les plus doux ; elle
va fermer les plaies que les longs désastres de la guerre répandent
sur le corps politique ; enfin nous pourrons soulager
l’indigent, protéger les arts et l’industrie, donner au commerce un
plus libre essor ; enfin les créanciers de l’État, sur
l’infortune desquels nous avons souvent répandu des larmes, ne
seront plus les premiers orphelins de la patrie. »
    Qu’est-ce que je peux dire encore ? On se précipitait sous
les pieds de ce soldat ; en vous marchant sur le dos, il
aurait eu l’air de vous faire beaucoup d’honneur. La bassesse des
gens est quelque chose d’incroyable ; et si des héros comme
Bonaparte finissent par considérer les hommes comme des animaux de
boucherie, il ne faut pas s’en étonner ; eux-mêmes en sont
cause : ceux qui ne se respectent pas, ne méritent que le
mépris.
    Il paraît que tous ces honneurs, que Chauvel appelait des
platitudes, finirent par lasser Bonaparte lui-même ; car au
moment où toute l’Alsace lui dressait des arcs de triomphe, depuis
Huningue

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