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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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sauvent. Mais qu’un général les mette à la porte et prenne
tranquillement leur place, sans presque rien changer à leur
pouvoir, et nous voilà tous esclaves. Dans ce moment même il faut
déjà nous taire, parce qu’au moindre signe de ces citoyens nous
serions empoignés, jugés, embarqués et confisqués pour toujours. Où
sont nos garanties ? je n’en vois pas ; ils ont le
pouvoir exécutif, et les deux conseils n’ont que la permission de
faire des vœux, comme sous Louis XVI les assemblées
provinciales.
    Ce qui surtout indignait Chauvel, c’était la lâcheté de ce
Directoire vis-à-vis du général Bonaparte, dont il n’osait pas
accepter la démission et qu’il aimait mieux voir en Italie, faire,
défaire, agrandir, séparer, réunir un tas de petites républiques,
que de l’appeler à Paris pour rendre ses comptes. Depuis les
préliminaires de Léoben, toutes les gazettes étaient pleines de
Bonaparte : « Proclamation de Bonaparte, général en chef
de l’armée d’Italie, aux citoyens de la 8 e division
militaire. » – « Bonaparte, au quartier général de
Passeriano. » – Admission auprès du Saint-Siège de Joseph
Bonaparte, ministre de la république française. » –
« Détails de la réception par le pape de l’ambassadeur
français Joseph Bonaparte. » – « Le général Bonaparte a
procédé à l’organisation du territoire de la république
cisalpine. » – « Le général Bonaparte a fait ci, le
général Bonaparte a fait ça ! »
    On aurait dit que les Bonaparte étaient toute la France. La mort
de Hoche ; la nomination d’Augereau à sa place ; la
rupture des négociations avec l’Angleterre, qui voulait bien la
paix, mais en gardant nos colonies, les embarras du Directoire, les
disputes des conseils, tout passait en seconde ligne :
Bonaparte remplissait les gazettes !… Celui-là pouvait se
vanter de connaître l’effet des petites affiches ! Avec sa
seule campagne d’Italie, il faisait plus de bruit que nos autres
généraux ensemble, avec leurs campagnes du Nord et du Midi,
d’Allemagne, de Champagne, de Vendée, de Hollande, depuis le
commencement de la révolution. On ne parlait plus que de la paix
qu’allait faire le général Bonaparte, du marquis de Gallo,
chevalier de l’ordre de Saint-Janvier, de Louis de Gobentzel, comte
du Saint-Empire romain, du sieur Ignace, baron de Dégelmann, et
d’autres plénipotentiaires chargés de traiter avec le général
Bonaparte.
    Naturellement, après tant de batailles, tant de souffrances et
de misères, tout le monde désirait la paix ; paysans,
ouvriers, bourgeois, tous souhaitaient de vivre tranquillement avec
leurs femmes et leurs enfants, de travailler, de semer, de
récolter, d’acheter et de vendre, sans avoir à craindre le retour
des Autrichiens, des Vendéens, des Anglais, des Espagnols :
c’est vrai ! Mais en lisant ce qu’on a raconté depuis, on
croirait que Bonaparte en était cause, qu’il avait mis l’amour de
la paix dans le cœur des gens ; cela n’a pas le sens commun.
Bonaparte n’aurait jamais existé, que la nation n’aurait pas moins
désiré la paix ; elle ne l’aurait pas moins obtenue, car nous
avions ravagé, massacré, brûlé les autres, beaucoup plus qu’ils ne
nous avaient brûlés, massacrés et ravagés. Tout le monde en avait
assez ; et si les peuples avaient pu faire la paix sans
s’inquiéter des rois, des princes et des directeurs, la paix se
serait faite d’elle-même.
    Enfin ce fameux traité entre la république et l’Empereur, roi de
Hongrie et de Bohême, arriva. Pour conserver la rive gauche du
Rhin, que nous avions gagnée avant Bonaparte et que nous occupions,
le général Bonaparte donnait à Sa Majesté l’Empereur d’Autriche,
roi de Bohême et de Hongrie, en toute propriété et souveraineté,
l’Istrie, la Dalmatie, le Frioul, les îles ci-devant vénitiennes de
l’Adriatique, la ville de Venise, les lagunes, enfin toute cette
république de Venise, qui n’était pas à nous. Les Autrichiens,
séparés de la Belgique par cent lieues de pays, devaient être
contents ; ce n’était pas la peine de tant glorifier ce
traité, l’Autriche aurait accepté le marché même avant la guerre
d’Italie et toutes ses batailles perdues.
    Voilà ce qu’on trouve admirable !
    Le roi de Bohême et de Hongrie nous cédait aussi les îles
Ioniennes, que nous avions.
    Il faut que les peuples soient plus bornés que le dernier

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