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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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Pavie, à Plaisance, à Milan, à Vérone, à Venise. Elle
éclatait de rire en peignant la mine de ceux qu’on pillait ;
et comme Chauvel disait :
    – Diable !… diable !… citoyenne
Lisbeth, vous faisiez une guerre de bandits…
    – Bah ! bah ! laissez donc,
criait-elle, un tas d’aristocrates et de calotins ! Est-ce
qu’on doit ménager ces gens-là ? Ils nous en voulaient tous à
mort, les gueux ! À chaque instant ils se soulevaient sur nos
derrières… Ah ! mauvaise race !… Nous en avons fusillé
des moines, des capucins… Aussitôt pris, aussitôt passés par les
armes… Bonaparte ne connaît que ça. Pas de réflexions
inutiles : « On te pince avec les insurgés, ton affaire
est claire, un piquet de huit hommes, un pan de mur au milieu des
champs, et bonsoir ! » Ça leur coupait drôlement le nerf
de la guerre, citoyen Chauvel !
    – Oui, oui, tout allait rondement.
    – Je crois bien, disait Lisbeth en
riant ; et puis, voyez-vous ? (elle faisait le signe
d’empoigner et de fourrer dans ses poches), j’avais des poches qui
me traînaient jusque sur les talons. Quelquefois Marescot avait
l’air de se fâcher ; il me criait « Mauvaise pillarde, je
te fais fusiller à la tête de la compagnie, pour
l’exemple ! » Mais tout le monde riait ; il
finissait par rire aussi. Tiens, est-ce que nous n’aurions pas été
bien bêtes d’attendre les fourgons des commissaires, des généraux,
des colonels ? Est-ce que nous ne risquions pas notre peau
comme eux ?
    – Sans doute, disait Chauvel ; mais
le trésor public…
    – Le trésor public ? …Ah !
quelle farce !… Le trésor public c’est la poche des
réquisitionneurs.
Et d’ailleurs les drapeaux, les
chefs-d’œuvre, les millions en tas partaient pour le
Directoire ; c’était la part du général en chef. Vous avez vu
les listes ?
    – Oui, nous les avons vues.
    – Eh bien, est-ce que les guerres de
Mayence, de Belgique, de Hollande, ont rapporté le quart
autant ?
    Lisbeth, après le dîner et le petit verre,
ramassa toutes ses fanfreluches et partit avec Étienne et Cassius
pour les Baraques. Nous les regardions s’en aller de notre porte,
et le père Chauvel disait :
    – Ah ! la grande voleuse !… Mon
pauvre Michel, tu peux te vanter d’avoir une drôle de
famille !
    Il souriait tout de même, car Lisbeth
racontait ses rapines si naturellement, qu’on voyait tout de suite
que ça lui paraissait aussi juste que d’avaler un verre
d’eau-de-vie ; elle s’en faisait honneur et gloire ! Et,
chose extraordinaire, toutes les dames de la ville, qui savaient
pourtant bien que c’était la fille du père Bastien des Baraques, et
qui se rappelaient aussi qu’elle avait couru les grands chemins,
presque sans chemise et les pieds nus, toutes étaient dans
l’admiration de ses robes, de ses chapeaux, de ses bagues et de son
air distingué. Durant les huit jours qu’elle resta chez nous, elle
changeait matin et soir, mettant tantôt des robes en soie, tantôt
en velours, avec de nouveaux ornements à l’italienne. Quelques-unes
de ces robes étaient aussi raides que du carton, à force de
broderies ; elle les avait bien sûr happées dans quelque
chapelle de sainte, ou dans de vieux châteaux, où l’on conservait
des habits de noce du temps des anciens papes. Que peut-on
savoir ! Plusieurs dames, les plus considérées de Phalsbourg,
en la voyant passer, s’écriaient tout bas :
    – Oh ! regardez !
regardez !… Oh ! la malheureuse ! est-elle
bien !…
    Elles n’avaient pas honte d’envoyer leurs
domestiques à l’auberge de Bâle, emprunter à Mme Marescot tel
falbalas ou telle coiffure, pour avoir la dernière coupe de la
grande mode. Lisbeth recevait des invitations de M. le maire,
de Madame la commandante de place, enfin on lui faisait en quelque
sorte chez nous, la même réception que les Parisiens à
Bonaparte.
    Combien peu de gens se respectent assez pour
ne pas plier le dos devant ceux qui réussissent ! J’en
rougissais. Mais ce qui nous faisait plaisir, c’est qu’à la maison
Lisbeth s’en moquait, et nous racontait tous ces salamalecs en
levant les épaules.
    – C’est la même histoire partout,
disait-elle. Quand j’ai mes savates, mon mouchoir rouge autour de
la tête et mon jupon, le matin, on dit : « Voici
l’ancienne cantinière de la 13 e légère ! » et
quand j’ai mes breloques, je suis Madame la capitaine ; je
pourrais passer pour

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