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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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bougeait, tous les yeux regardaient
là-bas ; et tout à coup, le 26 ou le 27 mai 1798, on apprit
que la flotte avait levé l’ancre et qu’elle était en route pour
l’Égypte. Les proclamations arrivèrent :
    – Allons, dit Chauvel, le citoyen
Bonaparte aime mieux combattre quelques poignées de sauvages en
Égypte, que les Anglais. Je vois, mon pauvre Michel, que la vraie
campagne sera par ici, sur le Rhin, comme en 1792 et 93.
Qu’avons-nous à faire en Égypte ? Il est vrai que cinq ou six
brigands fameux, Cambyse, Alexandre, César et Mahomet, se sont
donné rendez-vous dans ce pays ; c’est en quelque sorte leur
patrie, comme la patrie des tigres c’est le Bengale ; ils
tournent tous les yeux de ce côté, et ne sont bien que là. Mais
notre intérêt à nous, l’intérêt de notre république en Égypte, je
ne le vois pas. Nous avons déjà bien assez de mal à nous soutenir
en Europe contre toutes les monarchies, sans nous mettre encore le
Grand-Turc sur les bras.
    Et, prenant une des cartes que nous vendions,
il restait penché dessus durant des heures. D’autres patriotes
venaient le voir et causaient avec lui de l’expédition. Déjà le
bruit se répandait que nous allions attaquer les Anglais aux
Indes ; c’était la pensée de Raphaël Manque et du vieux
Toubac, l’ancien maître d’école de Diemeringen. Les journaux
disaient aussi que nous allions aux Indes, le pays d’où l’on tire
le poivre et la cannelle. Chauvel, les lèvres serrées, ne riait pas
en écoutant ces affreuses bêtises, seulement il criait d’un air de
désolation :
    – Que les peuples sont bornés, mon
Dieu ! Quel affreux malheur !
    Un jour Toubac, un gros bouquin allemand sous
le bras, vint nous raconter que le pays du poivre et de la cannelle
était aussi celui des diamants et des mines d’or, qu’il avait
découvert ça dans son livre. Il nous montrait du doigt le passage
et s’écriait :
    – Comprenez-vous maintenant, citoyen
Chauvel, comprenez-vous pourquoi Bonaparte veut aller aux
Indes ?
    – Oui, lui dit Chauvel indigné, je
comprends que vous, et malheureusement beaucoup d’autres, vous êtes
des ânes qu’on mène par la bride, en attendant l’occasion de leur
mettre un bât sur le dos. Savez-vous la distance de l’Égypte aux
Indes ? Elle est de plusieurs centaines de lieues, à travers
des fleuves, des montagnes, des déserts, des marais et des
peuplades plus sauvages que nos loups. Rien que pour aller de
l’Égypte à la Mecque, ce qui ne fait pas la moitié du chemin, les
Arabes, sur leurs chameaux, passent des semaines et des mois ;
il en périt de faim, de soif et de chaleur un tel nombre, que leurs
ossements marquent leur route à travers les déserts. Et vous croyez
que Bonaparte ne sait pas cela, qu’il n’a pas regardé la carte et
qu’il veut aller aux Indes chercher de la poudre d’or et des
diamants ? Non, Toubac, il sait ces choses mieux que nous,
mais il prend la masse du peuple pour une espèce d’engrais
nécessaire à faire pousser les généraux, et je commence à croire
qu’il n’a pas tort. Depuis que la constitution de l’an III sépare
les intérêts du peuple de ceux des bourgeois, le peuple n’a plus de
tête et les bourgeois n’ont plus de cœur ni de bras. C’est entre
eux que pousse le pouvoir militaire, qui fera périr les uns et les
autres. Si Bonaparte voulait attaquer les Anglais, il n’avait pas
besoin d’aller si loin, il n’avait qu’à passer le détroit ;
les Anglais l’attendaient sur leurs côtes, à quinze ou vingt lieues
de chez nous, aussi bien que dans les Indes ; sans compter
qu’il pouvait leur faire terriblement plus de mal chez eux qu’à
l’autre bout du monde.
    – Mais, s’écria Toubac, alors qu’est-ce
qu’il va donc faire en Égypte ?
    – Il va faire parler de Bonaparte !…
Il va tranquillement, avec nos meilleures troupes et nos meilleurs
généraux, attaquer des gens qui n’ont ni fusils, ni munitions, ni
organisation. Il les écrasera, cela va sans dire ; il enverra
des bulletins magnifiques, on parlera de lui : c’est tout ce
qu’il veut, en attendant mieux. Pendant ce temps, nous autres, nous
aurons des armées de cent et deux cent mille hommes de bonnes
troupes sur les bras ; nous appellerons le ban et
l’arrière-ban de la jeunesse, pour sauver la patrie. Si nous
obtenons le dessus, les envieux crieront, pour rabaisser Jourdan,
Bernadotte ou Moreau : « Victoire en

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