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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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plus que de
celles d’Italie, et le peuple en donnait toute la gloire à
Bonaparte. Il a payé cher son injustice !
    C’est au milieu de ces histoires de fêtes, de
dîners et de glorification d’un seul homme, que se passa l’hiver.
Augereau, bien ennuyé de voir qu’on le mettait dans l’ombre, cria
tant qu’on lui retira le commandement de l’armée d’Allemagne, pour
l’envoyer commander à Perpignan. Berthier reçut le commandement de
l’armée d’Italie, et Bonaparte se fit nommer membre de l’Institut à
la place de Carnot, son ancien ami, celui qui deux ans avant avait
approuvé ses plans de campagne, lorsqu’il n’était rien et qu’il
frappait à la porte de tous ceux qui pouvaient l’aider à devenir
quelque chose.
    On parlait alors d’une grande expédition en
Angleterre, que Bonaparte devait commander en chef. Mais pour faire
cette expédition, pour équiper les vaisseaux, réunir les munitions,
il fallait beaucoup d’argent ; le bruit courait que ceux de
Berne, en Suisse, avaient un gros trésor ; on les appelait
« Les messieurs de Berne. » Ces messieurs ne nous avaient
pas fait de mal, seulement les citoyens du canton de Vaud se
plaignaient d’être sous leur domination, de cultiver leurs terres
et de leur payer des impôts.
    Ces citoyens du canton de Vaud pouvaient avoir
raison, mais leurs affaires ne nous regardaient pas, et sans le
gros trésor des messieurs de Berne, je crois aussi que le
Directoire ne s’en serait jamais mêlé. Malheureusement il fallait
de l’argent pour l’expédition d’Angleterre, le trésor de ces
messieurs donnait dans l’œil de Barras, de Rewbell et des autres
directeurs, les millions d’Italie leur avaient ouvert
l’appétit : c’était grave.
    Dans ce mois de janvier, la 75 e demi-brigade, sous les ordres du général Rampon, traversa le lac de
Genève, pour s’établir à Lausanne ; le général Ménard la
suivit avec toute une division, et les gazettes nous apprirent
aussitôt que ses proclamations produisaient un bon effet :
    « Braves soldats, la liberté, dont vous
êtes les apôtres, vous appelle dans le pays de Vaud. La république
française veut que le peuple vaudois, qui a secoué le joug de ses
oppresseurs, soit libre, etc. »
    Toute la Suisse fut en l’air. Les messieurs de
Berne, de Fribourg, de Soleure, qui se doutaient bien qu’on en
voulait à leurs écus, au lieu de renoncer à de vieux privilèges sur
d’autres cantons, firent marcher des troupes contre nous. Ceux de
Bâle, de Lucerne, de Zurich eurent plus de bon sens ; ils
accordèrent à leurs sujets tous les droits qu’ils demandaient. Mais
cela ne faisait pas le compte du Directoire ; on voulait
soi-disant à Paris, une république comme la nôtre, une et
indivisible, sans cantons séparés. Le général Brune, connu par ses
actions d’éclat en Italie, remplaça Ménard au commandement, et se
mit à marcher. Alors tous les cantons, excepté celui de Bâle, se
réunirent pour arrêter notre invasion. Les commissaires du
Directoire, les
réquisitionneurs,
les fournisseurs,
passaient à la file chez nous, avec des troupes en masse. Cela
donnait au pays un mouvement extraordinaire, le commerce n’avait
jamais si bien été. Les Suisses se défendaient comme de véritables
enragés, surtout les insurgés des petits cantons, tous fameux
tireurs et connaissant leur pays à fond. Mais on entrait chez eux
de deux côtés à la fois, par Bâle et Genève, et tous les jours le
trésor était en plus grand danger.
    Je ne peux pas vous raconter les mille
nouvelles de rencontres, d’escarmouches, de surprises dans les
défilés, qui nous venaient jour par jour de là-bas. Le général
Nicolas Jordy, notre ancien commandant à Mayence, fit plusieurs
beaux coups de filet ; il enleva des canons, des drapeaux, des
masses de prisonniers.
    Malgré l’injustice abominable de cette guerre,
j’apprenais toujours avec plaisir que nos anciens se
distinguaient.
    Finalement Soleure et puis Berne capitulèrent,
le Directoire eut ce qu’il voulait : des convois sans fin
roulaient sur la route de Paris. On amena même les ours de Berne,
et c’est depuis ce temps que l’on parle de l’ours Martin du jardin
des plantes ; toute sa famille d’ours passa chez nous dans
cinq caisses, avec des quantités de voitures chargées d’autres
caisses, qui ne contenaient pas des ours, je pense. On disait que
c’était le citoyen Rapinat, beau-frère de notre directeur

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